Moi qui ne suis jamais allé voir « des hommes…

Moi qui ne suis jamais allé voir « des hommes et des femmes qui vendent des prestations sexuelles … »

Je relis l’article de Libération « Je suis une pute. Imaginez… » (1) et je regrette profondément que ceux qui souhaitent, avec raison, empêcher cette objectivation atroce du corps de l’autre, ne fassent rien pour les prostitués volontaires, aussi minoritaires soient-elles

Pourquoi doit-on leur interdire une mutuelle, le suivi de leur dépôt de plaintes, la possibilité de se fédérer en coopérative et de louer ensemble un immeuble ?

Il y a cette phrase d’Antonin Artaud qui résonne en moi : « plus encore de la mort, je suis le maître de ma douleur ». Cette phrase, j’y ai mille fois pensé, face à des proches qui flinguaient leur vie dans les méandres de l’alcool et des drogues dures. On en fait des conneries quand on est ivre et que l’ivresse prend le pas sur notre raison de vivre. Doit-on faire interner ce proche ? Doit-on considérer que la liberté de disposer de soi a des limites et que « ces limites », si elles sont franchies, justifient l’internement d’un être contre son gré ?

Une société doit-elle contraindre ses concitoyens à une « norme sociale », particulièrement quand ses concitoyens ne font du mal qu’à eux-mêmes ?

Je ne pense pas qu’’on puisse interdire à quiconque de vivre sa vie comme il l’entend,. Particulièrement quand sa volonté ne met pas en danger la vie d’autrui. Je ne pense pas en ce sens qu’on puisse interdire à quelqu’un de se prostituer, même si je conçois difficilement que l’acte de sucer et de se faire défoncer à répétition puisse se faire librement.

Il est à noter toutefois que ce n’est pas, en soi, l’acte de sucer et de se faire défoncer par de multiples partenaires qui pose question mais la rémunération obtenue par ces pratiques sexuelles.

Si je n’avais pas rencontré des prostituéEs du STRASS et des amiEs du Bus des Femmes, tout serait simple à mes yeux. Je serais le premier à porter l’argumentaire abolitionniste, mais je sais maintenant que toutEs les prostituéEs, aussi minoritaires soient-ils/elles, ne sont pas toutEs victimes des mafias de l’inhumanité.

De plus, cette loi visant à pénaliser les clients, protège-t-elle réellement les hommes et femmes victimes des mafias ? Il semblerait que cela soit même le contraire et que les réseaux développent déjà des « sextours » à travers des rencontres organisées via Internet dans des hôtels.

De ce fait, est il possible de soutenir une loi sur la prostitution qui ne garantit pas un soutien total aux prostituéEs volontaires et qui ne se donne pas les moyens d’une lutte efficace contre la prostitution forcée ?

Le plus grand proxénète, il suffit pour le comprendre de lire Emile Zola et Victor Hugo, n’est autre que la misère.

Par-delà la prostitution dans l’espace public et l’horreur des réseaux mafieux, nous devons prendre la mesure de son ampleur à travers l’existence :

– D’offres en très forte augmentation proposant la location d’appartement contre des prestations sexuelles de tout ordre. La situation du mal-logement est telle qu’afin de pouvoir se loger, certainEs finissent par se prostituer.

– De mariages résignés de sans-papiers avec des Français qui se servent de leur carte d’identité comme un droit de cuissage sur la misère.

– De foyers pour migrants et des résidences sociales, qui, bien que financés par l’Etat et gérés par des institutions semi-publiques, deviennent les lieux d’une prostitution massive, où il n’est pas rare de voir des jeunes mineurs enchaînant de chambre en chambre des pipes à 5 euros.

– Du fait de la crise de l’emploi, de contraintes sexuelles imposées à certaines personnes pour préserver leur poste ou obtenir un CDI. Le scandale qui a éclaté en 2011 à la RATP, où nombre de salariéEs étaient obligéEs de se prostituer et de participer à des soirées coquines, devrait davantage faire réfléchir les abolitionnistes sur cette prostitution moderne. En effet, les journalistes semblaient suggérer que la direction (dont l’Etat est actionnaire) avait laissé faire pour acheter une certaine paix sociale. (2)

Tant qu’il y aura de la misère, il y aura des femmes et des hommes pour chosifier l’autre afin de répondre égoïstement à leurs désirs.

La prostitution s’arrêtera quand les HommEs arrêteront d’objectiver d’autres HommEs afin de répondre à leurs plaisirs. C’est le fait de croire à la possibilité de réduire l’homme à un objet qui est à combattre. C’est le fait de croire à la possibilité d’annihiler toute posture de sujet chez l’autre contre lequel il faut lutter.

C’est d’ailleurs paradoxalement ce qui me dérange dans cette loi et dans les arguments qui se développent pour la défendre : l’objectivation du ou de la prostituée qui ne serait qu’une victime et qui ne pourrait raisonnablement pas faire « ce métier par choix ». Cette pensée sociale dominante, au-delà d’une objectivation victimisante, nie la possibilité d’une prostitution volontaire.

Reconnaître, en revanche, leur existence permettrait d’améliorer leurs droits et de leur donner les moyens de mieux se protéger. Cela donnerait également la possibilité de combattre efficacement les réseaux mafieux et les pervers de la misère qui contraignent des hommes et des femmes à des relations non désirées.

Au contraire, je ne perçois pas en quoi cette loi améliore les pouvoirs de police pour lutter contre les réseaux mafieux, ces esclavagistes des temps modernes qui, par leur trafic humain, commettent jour après jour un vaste crime contre l’Humanité.
Je ne perçois pas dans cette loi une volonté de combattre réellement ceux qui se servent de leur réussite sociale pour soumettre des personnes à leurs désirs.

Si le but de cette loi est d’abolir la prostitution de l’espace public afin de ne plus la voir exposer dans la rue et de la voir disparaître seulement en apparence, je trouve qu’il y aurait là une hypocrisie perverse.

Il y a quelque part dans cette loi un déni d’humanité à vouloir faire disparaître de l’espace public des hommes et des femmes.

L’espace public garantit par sa visibilité une protection à tou(Te)s les prostituéEs volontaires et non volontaires. Des associations peuvent agir au sein de cet espace public, et donc les soutenir.

Non, décidément, je ne vois pas comment combattre la prostitution mafieuse sans soutenir les prostituéEs .

Jérémie Nestel

(1) http://www.liberation.fr/evenements-libe/2013/10/31/je-suis-une-pute-imaginez_943651

(2) http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/08/24/une-lettre-anonyme-devoile-un-scandale-sexuel-a-la-ratp_1563122_3224.html


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