Le deux co-Premiers ministres, le prince
Norodom Ranariddh et Hun Sen, ainsi que
le président du parlement ont déclaré qu\’ils
étaient favorables à l\’init iative proposée par
le roi Norodom Sihanouk. Un communiqué
du palais royal a annoncé que les restes
des corps exposés dans ces muséums
seront prochainement incinérés lors d\’une
cérémonie bouddhiste, bien qu\’aucune date
n\’ai été précisée.
H Cette cérémonie religieuse permettra
enfin aux esprits des victimes de reposer en
paix. \ » Telle est la version officielle. Cela
apportera sans doute aussi quelque
réconfort aux familles des victimes.
Cependant tout laisse à penser que ce ne
soit qu\’un prétexte pour oublier et pardonner
les erreurs du passé de certaines
personnalités actuelles du royaume du
Cambodge. Le pouvoir de Phnom Penh
cherche à reconstruire un pays ravagé par
des décennies de violences et à unir enfin le
peuple khmer. Le credo du gouvernement
issu des élections de 1993 (supervisées par
l\’ONU) est d\’éradiquer les dernières
fractions khmers rouges, militairement ou
politiquement par une série de \ » mesures
sociales •>. Une amnistie a donc été décrétée
pour les anciens Khmers rouges qui ont
déposé les armes et aussi pour les futurs
déserteurs. Les derniers rebelles bénéficient
encore d\’une cote de sympathie dans leurs
sanctuaires et dans les zones rurales. Sans
réconcil iation, le Cambodge ne peut espérer
rebâtir une nation sur des bases solides. Le
pays resterait toujours victime des violences
de conflits inévitables. Il n\’est pas rare
d\’entendre qu\’il faut \ » laver les Khmers
rouges de leur passé et de faire un pacte
avec ces démons \’\ »
Reconstruire ou punir ? Tel est le dilemme
du pouvoir actuel. Il a les mains liées et
semble n\’avoir guère d\’autres choix .
Au moins vingt mille personnes, hommes,
femmes et mêmes des enfants ont transité
par et furent incarcérés à Tuol Sleng entre
1975 et 1979, qui était surtout connu sous
le sinistre nom de S-21. Leur crime?
(…)
dètent1on qw eta1t autrero1s une eco1e,
servait aux interrogat oires et tortures. Après
avoir été interrogés, la plupart des survivants
étaient emmenés vers les fameux killing
fields de Choeng Ek pour y être exécutés et
enterrés dans d\’immenses fosses
communes. En janvier 1979, les Vietnamiens
venus en • libérateurs .. ne trouvèrent que six
su rvivants à Tuol Sleng. Ces bâtiments ont
été cons\’ervés tels quels depuis la chute du
régime de Pol Pot. Des milliers de photos
d\’ident ité jaunies des victimes incrédules de leur sort, parfois souriantes, interrogent de
leur regard le visiteur qui se risque dans ce
lieu de cauchemar.
La méticuleuse bureaucratie khmère
rouge a compilé une masse d\’archives,
laissant un impressionnant témoignage de
l\’ampleur des atrocités commises à
l\’époque. Certains affirment que c\’était
\ »l\’institution\ » qui fonctionnait le mieux
durant ces quatre années de folie et de
terreur. On peut aussi y voir les pages de
\ » confessions .. des victimes, les instruments
de torture archaïques, une gigantesque
carte du Cambodge composée de
plusieurs douzaines de crânes, le
descriptif des conditions de
détention. A Choeung Ek une
immense stèle est érigée avec
envi ron huit mille crânes humains
récupérés sur le lieu même du
charnier. Chaque année ces
mémoriaux attirent des milliers de
visiteurs.
Alors que l\’on a commémoré récemment
le cinquantenairee de la libération
d\’Auschwitz, le geste du gouvernement de
Phnom Penh a de quoi surprendre et peut
être perçu comme un \ »contre-pied \ »
historique. Aussi, Leng Mouly, le ministre
de l\’information, a fait savoir que le
gouvernement était conscient du problème
et qu\’il construira un autre mémorial une
fois que les restes des victimes auront été
incinérés. Mais aucune date n\’a été
avancée, ni la forme du nouveau mémorial,
ni son financement … le budget du
Cambodge dépendant largement de l\’aide
internationale.
Ces deux \ » enterrements ,, dans les
oubliettes de !\’Histoire pourraient à l\’avenir
donner l\’occasion à certains de prendre
exemple sur les révisionnistes qui mettent
en doute la réalité du génocide nazi. En
effet, quelques intellectuels pensent que
seuls les auteurs de crimes contre
l\’humanité et leurs sympathisants ont à
gagner de la supression de ces
témoignages : \ » Nous ne devons pas
permettre que les appels à la réconciliation
entre les différentes fractions du peuple
cambodgien nous ferment les yeux sur le
génocide qui a été perpétré par les Khmers
rouges \ »• affirme Tim Seaman, un
sociologue de Phnom Penh. Ces mémoriaux
sont les dernières preuves concrètes qui
pourraient être utilisées pou r un éventuel
procès contre Pol Pot et sa clique.
Ces dernières semaines, des Khmers
rouges à bout de force et de munitions
et qui n\’ont plus d\’illusions quant à leur
\ »révolution,, ont déserté en masse. Certains
analystes pensent que les jours de Pol Pot
sont comptés. Mais il n\’est pas sûr que le
pouvoir cambodgien voudra en découdre avec
lui, même après une hypothétique rédition
du noyau dur des derniers Khmers rouge s.
Sihanouk pourrait bien perdre de son éclat
si un tel procès a lieu un jour. Aussi, si aucun
châtiment ne vient sanctionner ces
assassins, d\’autres croiront qu\’ils peuvent
agir en toute impunité. Les exemples récents
dans l\’ex-Yougos lavie, au Rwanda ou à TimorEst
sont révélateu rs en ce sens. Comme
l\’écrit avec justesse Primo Levi, survivant de
l\’holocauste nazi : \ » Si comprendre est
possible, savoir est impératif, parce que
ce qui s \’est passé pourrait se répéter. \ »
Cependant, Il n\’est pas dit que ceux qui
veulent éllmlner tes traces du génocide
cambodgien ne se brûleront pas les doigts
aux cendres encore chaudes du passé.
Paolo V.
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