La nouvelle Constitution

La population de ce petit pays a désormais entériné la nouvelle Constitution écrite par des « gens normaux » aidés par des cyber-citoyens. Lorsque le nouveau parlement l’aura à son tour adoptée, la révolution démocratique sera désormais achevée. Un processus inédit ailleurs !

On ne s’est pas encore penché sur le contenu de cette Constitution moderne, elle le mérite bien, mais d’abord, puisons dans les racines de cette ile au milieu de l’Atlantique.

Depuis l’arrivée des premiers Vikings au 9ème siècle, l’Islande est formée de plusieurs tribus disséminées sur tout le territoire.
Chaque année depuis 930 après Jésus Christ, leurs chefs se regroupaient au sud-ouest de l’ile sur l’impressionnant site de Thingvellir, les « Plaines du Parlement » pendant deux semaines.
Autour du « Rocher de la Loi », les quelques 150 membres de ce conseil (essentiellement constitué de propriétaires terriens) discutaient les lois à proclamer, modifier, abroger ou bien arbitraient pacifiquement les disputes.
Les représentants de tribus étaient accompagnés de deux conseillers chacun qui, eux, ne prenaient pas part aux votes.
Même si le Parlement islandais, l’Althing, s’est ensuite déplacé en ville, à Reikjavik, et a été suspendu de 1800 à 1843, il a perduré jusqu’à nos jours en traversant les évolutions religieuses et la tutelle d’autres pays nordiques.

Un autre aspect méconnu de la culture ancestrale viking, ce peuple encore aujourd’hui considéré comme « barbare » et « viril », est la Justice. Les personnes reconnues coupables de crimes tel que le meurtre étaient bannis du territoire. La découverte de l’Islande, du Groenland et du Québec en sont d’ailleurs une conséquence directe. Pour pouvoir revenir d’exil et lever la disgrâce, il fallait accomplir des actes de bravoure ou faire des découvertes importantes.

Il n’est donc pas étonnant que l’Islande ait gravé dans sa nouvelle Constitution la prohibition de la peine de mort et que le pays ne se dotera pas d’armée.
Une autre nouveauté est de trancher le débat sur la notion de vie et ainsi celui de l’avortement : « le droit à la vie est garanti à la naissance » (article 7).

La notion centrale qui apparait dans cette Constitution est le besoin de préserver la nature. Même si dans ce petit pays, elle reste très présente, ses habitants ont lancé la Révolution sur des questions d’environnement et de préservation des richesses naturelles en premier lieu. Il est heureux que les Constitutionnels aient réussi, à conserver cet aspect dans

(Tout d’abord) son préambule renoue avec la justice, la tolérance et l’écologie :

« Nous, peuple d’Islande, souhaitons créer une société juste offrant les mêmes opportunités à tous. Nos origines différentes sont une richesse commune, et ensemble nous sommes responsables de l’héritage des générations : la terre, l’histoire, la nature, la langue et la culture. »

Le régime politique devient un peu plus parlementaire qu’auparavant, comme en Inde.

Referendum en Islande : deux tiers des votants pour une nouvelle Constitution

Les deux tiers des Islandais ont soutenu les propositions faites par un comité de citoyens en vue de rédiger une nouvelle Constitution, selon les résultats préliminaires du référendum consultatif organisé samedi à ce sujet, un exercice de démocratie directe sans précédent.

Ces résultats provisoires diffusés dimanche par la chaîne de télévision publique RUV reposent sur le dépouillement des bulletins de vote dans la moitié des circonscriptions.

La participation était évaluée à environ 49%, soit beaucoup moins que celle de 72,9% enregistrée l’année dernière au référendum sur la compensation à offrir aux Britanniques et aux Néerlandais victimes de la faillite en 2008 de la banque Icesave.

La proposition de nouvelle Constitution a été rédigée par une commission élue en 2010 pour réviser la loi fondamentale et composée de 25 citoyens ordinaires qui ont consulté leurs compatriotes via internet.

Au cours du référendum de samedi – dont le résultat ne sera qu’indicatif -, les Islandais étaient invités à répondre par oui ou par non à six questions sur des sujets tels que les ressources naturelles de l’Islande, l’église nationale ou le futur système démocratique de leur île.

Ils étaient aussi consultés sur la possibilité de référendums d’initiative citoyenne et sur le mode de scrutin. Ils devaient également dire si la future Constitution devait être fondée sur le texte qui leur était présenté.

La complexité logistique du scrutin était telle que les résultats définitifs ne devaient pas être connus avant dimanche soir.

L’actuelle loi fondamentale a été adoptée en 1944, après l’indépendance de l’Islande du Danemark. Depuis longtemps, la nécessité de son réexamen général ne fait pas de doute, mais ce réexamen a toujours été reporté.

L’effondrement économique de l’Islande en 2008 à la suite de la crise financière a déclenché des mouvements sociaux massifs et la revendication selon laquelle la future Constitution devait être rédigée par de simples citoyens s’est imposée.

D’avril à juillet 2011, un groupe de 25 citoyens de différentes origines sociales a ainsi travaillé sur le projet constitutionnel avant de le poster sur internet pour permettre à la population de réagir et d’enrichir le texte, ce que plusieurs centaines de personnes ont fait.

La proposition de nouvelle Constitution a été soumise fin juillet 2011 au parlement, l’Althing, et en mai dernier, les députés ont décidé de solliciter l’avis des Islandais par le biais d’un référendum.

L’opposition avait appelé à voter non. Le Parti de l’Indépendance, au pouvoir pendant la majeure partie du siècle dernier, considérait pour sa part que la proposition devait être étudiée plus en détail.

Source : Le Point du 21/10/2012

Faire éclore la démocratie en Europe

changer radicalement les institutions

«L’élargissement rend indispensable une réforme fondamentale des institutions, affirmait Joschka Fischer, le Ministre allemand des affaires étrangères, le 12 mai 2000. Comment imaginer un Conseil européen à 30 chefs d’Etat ? Avec les institutions actuelles, comment parvenir encore à agir ? Comment éviter que les compromis ne soient de plus en plus étranges et que l’intérêt des Citoyens pour l’Union ne finisse par tomber bien en dessous de zéro ? Il existe une réponse toute simple: le passage à un système entièrement parlementaire.»

Dans un système intergouvernemental (le système actuel), il n’y a que des CHEFS d’Etat et des CHEFS de gouvernement autour de la table de décision. Sur une question importante, mettre un CHEF en minorité est quasi-impossible car c’est prendre le risque d’humilier tout son pays… Il faut donc que les 27 soient d’accord, à l’unanimité, pour que l’on change le contenu d’une politique.

Avec un tel système, aucune alternance n’est possible. La paralysie est assurée. Et quand les politiques sont paralysés, ce sont les technocrates ou le marché qui font la loi.

Alors que si l’on adoptait un système parlementaire, comme le proposaient les Allemands en 2000, des députés européens de tel ou tel pays pourraient être mis en minorité sans drame national puisque d’autres députés européens du même pays seraient, eux, dans la majorité… C’est bien un débat politique (droite/ gauche/…) qui est tranché dans un Parlement et non un combat entre nations.

Ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’ampoule électrique. Ce n’est pas en mettant quelques rustines aux institutions conçues en 1950 pour 6 pays que l’on fera naître une Europe démocratique. Si l’on adoptait le fonctionnement parlementaire proposé par Joschka Fischer, l’ensemble de la Commission, le Gouvernement européen, serait d’une seule couleur politique (celle qui a la majorité au Parlement européen). Il n’interviendrait que sur les questions sur lesquelles un pays isolé n’a plus vraiment de souveraineté, celles sur lesquelles nous devons absolument nous unir pour être efficaces : défense, diplomatie, monnaie, recherche, sécurité intérieure, environnement, régulation de la mondialisation…

Élaguer les compétences
«Les problèmes du XXIè siècle ne peuvent être résolus avec les peurs et les recettes des XIX et XXè siècles, affirmait Joschka Fischer. Une répartition précise des compétences entre la Fédération et les Etats nations devrait laisser à la Fédération uniquement les questions demandant à être réglées impérativement au niveau européen tandis que le reste demeurerait de la compétence des Etats. Il en ressortirait une Fédération élaguée, capable d’agir et compréhensible pour ses citoyens parce qu’elle aurait surmonté son déficit démocratique » concluait le Ministre allemand dans un discours qui reste totalement d’actualité.

Qui ferait quoi ?
Parlement et gouvernement européen : Diplomatie, Défense, Sécurité intérieure, Monnaie, Recherche, Politique agricole, Commerce, Développement durable…

Parlement et gouvernement national : Éducation, Santé, Culture, Logement, Emploi, Retraites

Parlement et gouvernement régional : Entretien des lycées et des routes, Développement économique, coordination formation des adultes

En réalité, il n’est pas nécessaire d’avoir la même organisation dans tous les pays. Nous devons seulement nous mettre d’accord sur les domaines où l’Europe est nécessaire pour retrouver une vraie capacité d’agir : non pas la taille des bananes et le calibre des avocats, mais la diplomatie, la défense, la recherche, la régulation de la mondialisation, etc…

Pour toutes les autres questions, chaque pays fait comme il le veut : en France, les programmes scolaires sont établis au niveau national alors qu’en Belgique, c’est l’Échevin municipal qui en est largement responsable. Si l’un de nos deux pays voulait changer sa tradition sur ce point, cela mettrait des milliers de gens dans la rue…

On peut très bien avoir une diplomatie et une recherche communes en conservant des traditions différentes dans d’autres domaines. Aux Etats-Unis, les lois et les modes de vie sont très différents en Floride et au Texas. De même, en Inde, le Kérala et le Rajahstan ont des organisations sociales et des cultures assez différentes. Cela ne les empêche pas d’appartenir à une même fédération.

L’exemple indien est très intéressant. C’est la plus grande démocratie du monde. Sa constitution est une constitution clairement fédérale : l’Union indienne ne s’occupe que des domaines pour lesquels un des 28 Etats, s’il était isolé, n’aurait pas les moyens d’agir (Diplomatie, défense, recherche, monnaie,…). Et la Constitution indienne comporte une sorte de Traité social qui rassure les Etats qui ont un système social assez avancé comme le Kérala.

Grâce à ce Traité social, ils sont sûrs de ne pas régresser, de ne pas être tirés vers en bas. Même si le gouvernement élu au niveau de l’Union est très peu social, le Kérala et ses 32 millions d’habitants sont certains de pouvoir garder leurs avancées en matière de logement, d’éducation ou de santé.

Si l’on adoptait un système parlementaire, le gouvernement européen serait désigné par la majorité du Parlement européen pour mettre en œuvre le projet exposé aux citoyens avant les élections européennes. Il aurait cinq ans pour mettre en œuvre ce projet (le Conseil des Chefs d’Etat n’ayant qu’un rôle limité, comme le Sénat en France).

L’Europe disposerait d’une fiscalité propre : impôt sur les bénéfices, écotaxe ou taxe Tobin améliorée, un impôt voté par le Parlement européen financerait la défense, la diplomatie, la recherche, la politique agricole, les fonds structurels…

Tous les 5 ans, les élections européennes seraient l’occasion de vrais débats politiques. Les citoyens pourraient faire le bilan de la majorité sortante et décider de lui donner ou non 5 ans de plus… L’Europe aurait les moyens d’agir efficacement et rapidement sur tous les dossiers où la décision politique est aujourd’hui paralysée par l’unanimité.

La proposition de Joschka Fischer, assez proche de ce que proposaient déjà Wolfgang Schäuble et Karl Lamers en 1994, aurait l’intérêt aussi de respecter le principe fondamental de toute démocratie : un homme, une voix. Un député élu à Malte ayant le même poids qu’un député élu en Allemagne ; le vote d’un citoyen Polonais au moment des élections européennes ayant le même poids que le vote d’un Espagnol alors que dans le système intergouvernemental actuel, sur toutes les grandes questions, le poids de Malte équivaut au poids de l’Allemagne (alors que sa population est 206 fois plus faible), ce qui n’est pas très démocratique !

La proposition Delors
Si l’on renforce le pouvoir du Parlement européen, comment être sûr que les élections européennes seront réellement des élections où l’on débat des questions européennes et non pas 25 élections nationales simultanées ? En 1997, Jacques Delors proposait que les formations politiques européennes désignent avant les élections leur candidat au poste de Président de la Commission. Aux Etats-Unis (d’Amérique), les citoyens élisent un ticket (Président et Vice Président) en même temps qu’ils désignent leurs représentants. De ce fait, les électeurs du Texas ont bien conscience de participer au même scrutin que ceux de Floride.

Pourquoi les partis qui participent aux élections européennes ne pourraient-ils pas désigner avant les élections les 3 ou les 5 personnalités (issues de pays différents) qui dirigeraient la Commission pendant cinq ans ? Cela obligerait les partis à s’entendre sur des programmes réellement européens et cela éviterait que ne se reproduisent les graves cafouillages qui ont entouré la naissance de la Commission Barroso.

Les propositions de Fischer avaient suscité l’enthousiasme de tous celles et ceux qui veulent construire une Europe politique capable de faire équilibre à l’hyper-puissance américaine. A gauche, un très grand nombre de militants et d’élus avaient immédiatement exprimé leur soutien à Joschka Fischer. Et, à droite, les Européens convaincus avaient applaudi aussi : « Ces propositions tombent à pic. Si nous n’allons pas dans ce sens, l’Europe ne ressemblera plus à rien. » appuyait Hubert Haenel, le Président RPR de la délégation du Sénat pour l’Union européenne dans Le Monde du 30 mai 2000.

Une crise clarificatrice avec les Anglais
Alain Juppé, pressentant l’opposition anglaise, affirmait qu’il ne fallait pas avoir peur de provoquer une « crise clarificatrice ». Que faire si -pour un temps au moins- la Grande Bretagne refuse d’avancer dans ce sens ? Comment clarifier la relation avec Londres sans abîmer une amitié si précieuse ?

Churchill avait raison !
Dans le discours prononcé à Zurich en 1946, Winston Churchill pressait la France et l’Allemagne de construire les Etats-Unis d’Europe mais il affirmait déjà que, vu sa culture et son histoire, la Grande Bretagne n’avait pas vocation à en faire partie : la Grande Bretagne garderait un rôle de charnière entre les Etats-Unis d’Amérique et les Etats-Unis d’Europe ! Pourquoi ne pas accorder aujourd’hui au Royaume-Uni cette position distincte ? Nul ne peut être obligé d’aller plus loin qu’il ne le souhaite. Mais nul n’a le droit de ralentir exagérément la marche des autres.

Et qu’on ne nous dise pas qu’il faut forcément l’unanimité pour modifier un Traité international. Dans le Nouvel Observateur du 4 décembre 2003, Robert Badinter dénonçait « le carcan » dans lequel on allait enfermer l’Europe. Il rappelait que « de nombreux Traités internationaux comportent une clause de révision à la majorité simple ou à la majorité des 2/3 comme la Charte des Nations-Unies.» Le protocole de Kyoto est entré en vigueur malgré l’opposition des Etats-Unis (puisque 55 Etats, représentant 55% des émissions de CO2 l’ont ratifié). De même, une vraie Constitution européenne pourrait voir le jour, même sans l’accord des Anglais (sachant que la porte leur sera toujours ouverte).

Que les citoyens s’expriment !
En ce début 2012, l’Europe est à la croisée des chemins. Les traités européens sont en renégociation mais la diplomatie est une chose trop importante pour être laissée aux diplomates. Si l’on avait attendu un accord entre diplomates, le Mur de Berlin serait toujours debout. Ce sont des citoyens, des élus, des syndicats et des associations qui ont voulu et obtenu la chute du Mur et la réunification de l’Europe. C’est aux citoyens de dire aujourd’hui quelle Europe ils veulent construire.

«Par notre inertie, nous enlevons au monde son visage humain » écrivait le philosophe Alain.
En ne se donnant pas les moyens de devenir une force politique, diplomatique et militaire, l’Europe participe à la déshumanisation du monde. En 1993, les signataires des accords d’Oslo demandaient à l’Europe de les aider à construire la paix entre Israël et la Palestine.

Presque 20 ans plus tard, il n’existe toujours pas de diplomatie européenne et toutes les semaines, les médias nous apprennent combien d’hommes, de femmes ou d’enfants sont morts sur les rives du Jourdain, du Tigre et de l’Euphrate… et nous nous sentons dramatiquement impuissants.

Entre 1981 et 1984, la construction européenne fut retardée par une dame, Margaret Thatcher, qui exprimait très fortement ses priorités. « I want my money back. Je veux mon argent. Je veux mon argent ! » dit-elle en tapant du poing sur la table jusqu’à obtenir gain de cause. Pourquoi les citoyens d’Europe ne diraient-ils pas avec autant de force quelles sont leurs priorités ?

We want democracy ! We want social progress back ! Nous voulons la démocratie. Nous voulons renouer avec le progrès social ! Arrêtons de finasser. Il faut nous exprimer clairement : Jean Monnet disait toujours que l’Europe n’avance qu’avec des idées simples. Mettre ensemble le charbon et l’acier, créer une monnaie unique, ce sont des chantiers énormes mais ce sont des idées qu’un enfant de 5 ans peut comprendre. L’Europe n’avance qu’avec des idées simples. Simples mais radicales.

Cela fait presque 20 ans que les Allemands, droite et gauche confondues, nous proposent une idée simple : construire ensemble une Europe politique, mettre en place un régime parlementaire. Et cela fait presque 20 ans que les « élites » françaises bottent en touche… Disons clairement aux Allemands que nous sommes d’accord avec leurs propositions. Présentons leurs nos excuses pour ces vingt années d’atermoiements. Exposons-leur nos idées sur l’Europe sociale et mettons-nous ensemble au travail avec tous les peuples qui voudront réellement d’une Europe démocratique.

Négocier un vrai Traité de l’Europe sociale

« Votez Oui à Maastricht et on se remettra au travail tout de suite sur l’Europe sociale » affirmait Jacques Delors quelques jours avant le référendum sur Maastricht en 1992. Il reconnaissait que le Traité était très insuffisant en matière sociale mais demandait aux citoyens de ne pas casser la dynamique européenne. Le Oui était passé de justesse.

Vingt ans plus tard, alors que la crise sociale s’aggrave dans tous nos pays, les Traités européens sont de nouveau en discussion. Les peuples ne peuvent plus se contenter de promesses. Il faut passer aux actes.

Réguler nos échanges avec la Chine est une question fondamentale, mais comment éviter que notre production industrielle soit délocalisée au sein même de l’Europe ?

La France doit-elle s’aligner sur le moins-disant fiscal et social tchèque (c’est la direction que prend Nicolas Sarkozy quand il annonce qu’on supprime la taxe professionnelle) ou faut-il agir, au contraire, pour que l’ensemble des pays membres renoncent à des stratégies de dumping et retrouvent, ensemble, la voie du progrès social ?

Pour éviter que les pays d’Europe soient tentés les uns après les autres d’imiter et d’amplifier ce dumping, il faut profiter des négociations en cours pour imposer un vrai Traité social européen, avec des critères de convergence sociaux, qui oblige les 27 états membres à converger « vers en haut » en matière sociale comme ils ont su converger vers en haut en matière économique grâce aux critères de Maastricht.

Si, depuis des années, nous sommes nombreux à militer pour l’adoption d’un vrai Traité de l’Europe sociale, c’est pour trois raisons au moins :

1 > des raisons sociales, évidemment. Comment se résigner à de tels niveaux d’injustice ? Comment accepter qu’on laisse autant d’hommes, de femmes et d’enfants sur le bas côté ? Pas besoin d’insister; vous partagez sans doute la même volonté de lutter contre l’injustice.

2 > des raisons politiques. En ne se donnant pas les moyens de devenir une force politique, diplomatique et militaire, l’Europe participe à la déshumanisation du monde : en 1993, les signataires des accords d’Oslo demandaient à l’Europe de les aider à construire la Paix entre Israël et la Palestine… Presque vingt ans plus tard, il n’y a toujours pas d’Europe politique, toujours pas de force européenne d’interposition.

Il est temps de réagir et de faire naître une Europe politique, disposant d’une vraie diplomatie et d’une vraie armée. Oui, il y a urgence à faire naître une Europe puissante, capable de tirer richesse de sa diversité. Mais il n’y aura pas d’Europe forte sans soutien des opinions publiques : pas d’Europe politique sans Europe sociale.

Dans de nombreux pays, les citoyens n’accepteront aucune évolution vers une Europe politique si la question sociale est toujours remise à plus tard. Il n’y aura pas de progrès institutionnel (une diplomatie européenne, une défense européenne) si l’Europe oblige ses États membres à mettre en place des plans de rigueur et n’est pas capable de répondre mieux aux attentes de la vie quotidienne des citoyens.

3 > des raisons économiques enfin. Si nous voulons un Traité de convergence sociale c’est aussi parce que, comme le disait Ford au siècle dernier, « en période de crise, chacun voudrait baisser les salaires et baisser la protection sociale, mais cette baisse des salaires aggrave la crise ! Il faut donc nous donner des règles collectives pour éviter que le dumping de l’un oblige tous les autres à un dumping équivalent. » Surtout quand ce dumping est inutile parce que, globalement, la balance commerciale de l’Europe est équilibrée !

C’est quand tous ont un vrai travail, un vrai salaire et une bonne protection sociale que l’économie fonctionne de la façon la plus solide. Voilà pourquoi il nous paraît urgent – vraiment urgent – de doter l’Europe d’un vrai traité social.

Le traité de Maastricht comportait cinq critères (déficit inférieur à 3 %, dette inférieure à 60 %…). De même, nous proposons 5 objectifs pour l’Europe sociale :

— un emploi pour tous : un taux de chômage inférieur à 5 % ;

— une société solidaire : un taux de pauvreté inférieur à 5 % ;

— un toit pour chacun : un taux de mal-logés inférieur à 3 % ;

— l’égalité des chances : un taux d’illettrisme à l’âge de 10 ans inférieur à 3 % ;
— une réelle solidarité avec le Sud : une aide publique au développement supérieure à 1 % du PIB.

Nous avons su vaincre l’inflation (en quelques années, elle est passée de 14% à 2%). Pourquoi ne pas nous attaquer avec autant de force au chômage, à la pauvreté ou au mal logement ? Des sanctions doivent être prévues pour les Etats qui ne respecteraient pas ces critères sociaux d’ici 10 ans. Le traité doit comporter également des garanties fortes en matière de financement des systèmes de sécurité sociale et des services publics.

Le Traité doit obliger le Président de la Banque centrale à dialoguer avec les élus (comme c’est le cas aux Etats-Unis). Il doit permettre le financement du budget européen par un impôt européen. Le Traité reconnaît le principe d’intérêt général et l’utilité des services publics.

Il charge le Parlement européen d’élaborer d’ici deux ans une vrai Charte du développement durable qui obligera l’Europe à modifier sa politique énergétique et ses positions en matière de politique commerciale.

Dans un marché unique, aucun pays ne peut progresser durablement en matière sociale si les autres régressent. La France ne pourra pas garder longtemps un haut niveau de protection sociale si tous nos voisins y renoncent progressivement. Si, en Italie, en Autriche ou en Espagne, des millions de retraités pauvres viennent rejoindre les rangs des salariés pauvres, il est illusoire de penser que nous pourrons, seuls, conserver un haut niveau de cotisation et de protection sociale. Voilà pourquoi il faut créer un « carcan positif » obligeant tous les pays à converger vers le haut, au lieu de se résigner à détruire progressivement toutes les protections sociales construites depuis un demi-siècle.

Non seulement l’Europe doit être un bouclier protecteur, mais elle doit inciter chaque pays à améliorer son système social en allant voir chez le voisin ce qu’il y a de mieux.

En 2004, dès que notre projet de Traité de l’Europe sociale a été rendu public, il a reçu le soutien d’un grand nombre de personnalités [[Cf. la tribune de Stéphane Hessel, Michel Rocard et Pierre Larrouturou dans Le Monde du 9 juin 2004.
Voilà la liste des personnalités citées dans cet article : Stéphane Hessel, Jacques Delors, José Bové, Bronislaw Geremek (ancien ministre polonais), Enrique Baron Crespo (président du groupe socialiste au Parlement européen), Jean Daniel du Nouvel Observateur, Susan George d’Attac, Bruno Trentin (président du plus grand syndicat italien), René Passet (économiste), Timothy Radcliffe (ancien Supérieur général de l’ordre des Dominicains), l’abbé Pierre, Philippe Guglielmi (ancien Grand Maître des franc-maçons du Grand Orient), Jean-Maurice Dehousse (ancien Ministre-président de la Wallonie), Robert Goebbels (ancien Ministre de l’économie luxembourgeois), Jean-Jacques Viseur (ancien Ministre des finances belge), Gérard Pelletier (Président de l’Association des Maires Ruraux de France), Claudy Lebreton (Président de l’Assemblée des Départements de France), Alain Rousset (Président de l’Association des Régions de France), le Mouvement National des Chômeurs et précaires (MNCP), quelques 250 parlementaires et des milliers de citoyens issus de neuf pays de l’Union.]].
Pour soutenir notre initiative et demander à la Convention Giscard qui rédigeait la Constitution européenne d’en tenir compte, le Président de la Commission, Romano Prodi, avait reçu une délégation des premiers signataires.

Devant tous les journalistes présents au siège de la Commission européenne, Romano Prodi souligna avec force l’importance et la crédibilité de notre démarche : « Ce sont des critères tout à fait réalistes. Ce sont des objectifs tout à fait atteignables. C’est une question de volonté politique. J’en suis persuadé : c’est seulement une question de volonté politique.» Hélas, Valéry Giscard d’Estaing qui présidait les travaux de la Convention sur l’avenir de l’Europe, refusa d’intégrer un projet de Traité social.

Après le Non au référendum français en mai 2005, l’idée de compléter les traités avec un protocole social s’était progressivement imposée chez les dirigeants européens : « Le Non français n’est pas un rejet de l’Europe elle-même mais un rejet de l’Europe néolibérale, affirmait John Monks, le Secrétaire Général de la Confédération Européenne des Syndicats (C.E.S.) juste après le vote. Près de 80 % des ouvriers ont dit non. L’Europe n’est pas apparue comme une réponse au problème du chômage.»

Et le problème ne concerne pas que la France: « Si les Allemands se prononçaient par référendum, je suis sûr qu’ils voteraient non » affirmait Peter Altmaier, député CDU, « il faudrait que le modèle social soit clarifié. »

En mars 2007, à l’occasion des 50 ans du Traité de Rome, Angela Merkel réunissait à Berlin tous les Chefs d’État d’Europe et rappelait devant eux sa volonté d’ajouter un « protocole social » à la Constitution européenne.

Hélas, la France élit Nicolas Sarkozy.

Et le nouveau Président voulut clore très vite le dossier européen. Alors que tous nos partenaires européens auraient préféré se donner le temps de la réflexion et pensaient ne boucler la négociation d’un nouveau traité qu’en 2009, Nicolas Sarkozy exigea de conclure immédiatement. Sans prendre le temps du dialogue. Au risque de rater une occasion historique de rapprocher l’Europe des attentes des peuples et des nécessités économiques et sociales de l’époque.

Le 20 juin 2007, sur le perron de l’Elysée, Jacques Delors ne cachait pas ses réserves sur les projets européens du nouveau président :

Jacques Delors dit ses réserves sur le traité de l’UE

Jacques Delors a redit à Nicolas Sarkozy ses préventions vis-à-vis du Traité constitutionnel.

« J’ai rappelé les points qui avaient déjà appelé de moi des réserves pour le projet de Constitution, même si je l’ai soutenu », a déclaré l’ancien président de la Commission européenne après un entretien avec le président français.

« Tout d’abord, il faut un protocole social afin de bien montrer qu’on concilie l’efficacité économique, la puissance européenne et la justice sociale vers le haut », a dit Jacques Delors. « Deuxièmement – je plaide pour ça depuis dix ans – il faut un rééquilibrage entre l’économie et la monnaie à l’intérieur de l’Union économique et monétaire. Ce sont deux points essentiels. » [[Reuters 20 juin 2007]]

En 2007, Nicolas Sarkozy n’a voulu écouter personne : ni les syndicats européens, ni Angela Merkel, ni Romano Prodi, ni Jacques Delors… La question du dumping social et fiscal intra-européen ne semblait pas du tout l’intéresser.

Deux ans plus tard, c’était devenu à ses yeux un sujet crucial : Pour « qu’une nouvelle usine ne parte pas en Tchéquie ou ailleurs », Nicolas Sarkozy annonçait qu’il supprimait la taxe professionnelle et privait les collectivités locales de 18 milliards de ressources. 18 milliards de perdus chaque année pour combien d’emplois (peut-être) sauvés ? 18 milliards, c’est très cher payé ! Et si les Tchèques diminuent encore leur niveau d’ambition sociale et donc leur fiscalité, allons-nous encore baisser les nôtres ?

Nicolas Sarkozy fait fausse route. Continuer à s’aligner sur le moins-disant serait catastrophique à tous points de vue. C’est au contraire en provoquant un sursaut et en renforçant les outils de coopération et de convergence « vers le haut » que nous sortirons de la crise.

En 2012, les traités européens sont de nouveaux en révision. Si nous voulons effectivement éviter les délocalisations vers la République tchèque, si nous voulons éviter que la baisse des salaires en Allemagne ne diminue l’activité de nos usines, c’est maintenant qu’il faut agir. La solution n’est pas d’imiter le dumping des uns et des autres mais, au contraire, comme le disait Ford, de « nous donner des règles collectives » qui obligeront tous les pays à converger vers un plus grand progrès social.

« Par défaut de volonté,
par insuffisance d’être,
par pleutrerie, par instinct de servitude,
l’Europe est en train de se résigner
à n’être qu’un espace commercial régi par le libéralisme
et, politiquement, un dominion des Etats-Unis.
»

Jacques Julliard – Le Nouvel Observateur – 9 janvier 2003

Jacques Julliard avait raison en 2003 de dénoncer la pleutrerie et le défaut de volonté de nos élites, mais, en 1989, ce ne sont pas les élites en place qui ont fait tomber le Mur. Si l’on avait attendu un accord entre dirigeants, le Mur serait encore en place. C’est le peuple qui l’a fait tomber. C’est au peuple, aujourd’hui, de dire quelle orientation nouvelle il veut donner à la construction européenne.

En 1989, le peuple a fait tomber le mur et la chute du mur a obligé les dirigeants européens a choisir très vite entre deux options : la dilution-éclatement ou le sursaut. Ils ont choisi le sursaut en lançant la marche vers la monnaie unique.

Aux Etats-Unis, c’est la crise de 1929 qui a permis un saut fédéral (création d’un impôt fédéral sur les bénéfices, législation sur les banques, New Deal, etc…). La crise actuelle doit être, pour l’Europe, l’occasion d’un sursaut démocratique et social.

Source : collectif Roosevelt2012


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