La chasse aux réfugiés à couvert dans les parcs et jardins de Paris

On le savait, la traque aux sans-logis est entrée depuis longtemps dans les politiques d’aménagements du territoire, et plus précisément dans l’urbanisme. Depuis les politiques anti-bancs à celles plus pernicieuses des bancs conçus pour que personne ne s’y allonge ; en passant par les pas de portes occupés par des remparts aux corps en mal d’abris, tas de pierre scellées, boulons sur le perron, massifs piquant et autre trouvailles mal intentionnées ont été répertoriées bien après avoir été créées, enseignées, diffusées, vendues et appliquées.
Désormais cette politique poursuit la chasse aux sans-abris dans les parcs et les jardins publics !

Mais oui vous l’aviez remarqué

Pour ma part c’est cet hiver, que j’ai été contrariée à la vue de la brigade de jardiniers du parc de Belleville taillant sauvagement la bambouseraie où j’aime me poser et entendre le vent circuler dans les feuilles. Avec ou sans la cascade, on s’y croirait.
Jardin sympathique sur cette butte parisienne populaire (en partie rasée dans les années 70-80 …) et sur laquelle Gérard le maître jardinier est devenu célèbre, non sans raison.* Il a su faire un pli, un refuge au creux de la ville tourbillonnante. Sachant tailler et laisser pousser une végétation choisie d’arbres et de massifs, il a créé des coins et des recoins, de nouvelles perspectives qui nous donnent l’ impression de nous égarer dans un mouchoir de poche et apporte la tranquillité recherchée ici.

Le bambou se taille en été, d’après Rustica, et on lui préfère généralement un éclaircissage à la base, afin de garder son élégance. De chaque côté de la cascade en hivernage, la brigade a opté pour la version buisson. Et au dessus de la cascade c’est l’abattage… On ne comprend pas vraiment pourquoi à la vue de ces tiges nues et arrachées. On pressent qu’il y a déraison…
Ça met mal à l’aise. On n’ a pas l’habitude dans des parc et jardins urbains d’un tel saccage organisé. Quoique, le long de la promenade Richard Lenoir, la taille des massifs qui permettaient de couper de la circulation a été elle aussi ratiboisée plus qu’a son habituelle taille d’hivernage.

Dans ses bambous j’apercevais depuis plusieurs mois un duvet roulé en boule…

Belleville compte quelques jeunes gens ayant traversés la méditerranée à leur risque et périls. Ici, ils prennent des cours de français en plein air sur la pelouse et un repas leur est distribué par une association du quartier. Certains ou d’autres doivent aussi dormir dans le parc.

Alors que le printemps commence à poindre, je croise deux de ces jardiniers et leur pose la question. Sûrement je ne suis pas la première à les interroger sur les bambous, car tous les habitués parlent du parc défiguré. Ils m’expliquent d’abord qu’il faut bien tailler pour que sa poussent mieux et qu’ensuite les bambous s’étofferont par le bas et c’est ce qu’ils veulent ; qu’ici il y eu du laissé aller… .
Qui veut ça ? Qu’est devenu Gérard ?

Les deux jardinier-es m’expliquent que la demande vient directement du service des parcs et jardins de la Ville de Paris. Et que Gérard est parti à la retraite.
Fini la philosophie, bienvenu la surveillance, fini l’hospitalité voilà les hostilités.
Le premier objectif est d’empêché effectivement de cacher des affaires, le deuxième touche l’ensemble du jardin : « il faut dégager la vue… » ( une vue magnifique de Paris depuis le belvédère ) fini les replis, il faut voir, tout voir et ne pas pouvoir se cacher…
Voilà que les jardinier-es hier félicités par leur capacité à créer des espaces de liberté, reprennent à leur compte les phrases toutes faites venues de leur hiérarchie pour leurs ordonner de faire le ménage : La jeune jardinière (arrivée après le départ en retraite de Gérard) évoque des incidents graves, vol de sac à main, laissant entendre qu’il s’agit de prévenir les agressions… Le vieux jardinier, (20 ans à gratter la terre de la butte de Belleville) qui en vu d’autre, évoque pourtant « les jeunes qui échangent » ( dealent).

– Préparez-vous, me dit la jeune jardinière, parce qu’on va devoir tailler encore tous les massifs, ça va être moche au début … mais ça repoussera. 

Tristesse, tristesse de voir comment une politique de chasse à l’homme est orchestrée, disséminée jusque dans les ordres donnés aux jardiniers-es… Qui justifient leur travail avec des arguments botaniques tout en admettant gêné-es, qu’il s’agit effectivement d’empêcher les sans-abris, ici ces jeunes réfugiés de cacher leur duvet…

– Alors qu’on devrait depuis longtemps leur mettre a disposition un vestiaire dans la nouvelle Hall civique qui remplace la maison de l’air et de l’environnement…

Je sens que je sème un trouble. Je les remercie chaleureusement d’avoir pris le temps de discuter. Grâce à eux j’écris ce billet que je vous adresse.
En bas du parc c’est midi une distribution de repas à lieu, la vie continue.

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*Gérard le jardinier philosophe est connu de tous les habitués du parc.
Le monde en un jardin, un film lui est dédié en 2012,
mais déjà en 1998 il apparaît dans un reportage sur les jardins : http://www.ina.fr/video/CAB98042414
et de nombreux articles : https://www.challenges.fr/vins/vins-bio-et-nature/le-jardinier-poete-de-belleville_66901

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