En Egypte comme en Tunisie, la bataille pour la démocratie se joue sur internet avant même de se livrer dans les rues. Pour se rendre à une manifestation, encore faut-il savoir qu’elle a lieu, où et quand… Facebook, Twitter, les SMS, Blackberrys et I-phone ont beaucoup servi là où tous les autres médias classiques, radio, télé ou journaux, sont rigoureusement verrouillés. La bataille a été rude aussi sur le front virtuel. On a parlé de ces attaques des Anonymous, des hackers pour la démocratie, qui auraient réussi à bloquer tous les sites officiels tunisiens, peu avant la chute de Ben Ali. Et le lendemain, un internaute, Slim le twitteur, après un passage en prison où on lui avait rasé la tête, arrivait, au gouvernement comme secrétaire d’État à la jeunesse et aux sports…
Un des plus importants aspects de la révolution tunisienne en cours, c’est l’apparition d’une opposition inconnue jusque-là, laïque et démocratique, indépendante de tous les partis, on le doit en grande partie à internet.
En Egypte aussi. Là, le gouvernement tente une méthode plus radicale, en coupant totalement internet. Un fournisseur d’accès français, FDN, a ouvert des accès par le réseau téléphonique, à bas débit, comme aux origines d’internet. Impossible à censurer sauf en coupant le téléphone. C’est ce qu’à fait le gouvernement, coupant l’accès à des pans entiers du réseau, dans l’espoir d’empêcher les manifestations. De même les SMS et autres réseaux de communication empruntés par les manifestants, ont été fermés à mesure que la panique montait.
Ci-dessous, interview de Benjamin Bayart, de FDN.
Vendredi 28 janvier 2011
Après deux jours de blocages ponctuels des services de télécommunications et de services Web comme Twitter et Facebook, les autorités sont passées à une méthode plus radicale pour tenter d’empêcher les manifestations prévues ce vendredi : elles ont tout simplement coupé l’accès à Internet dans l’ensemble du pays.
Peu après minuit, de nombreux témoignages ont signalé que l’accès à Internet était bloqué. D’après les données assemblées par l’entreprise de sécurité informatique Arbor Networks, l’ensemble des fournisseurs d’accès à Internet égyptiens ont coupé leurs services ce vendredi matin.
Il s’agit d’une première historique : jusqu’à présent, aucun régime n’avait eu recours à un blocage total d’Internet en réaction à des manifestations. Lors des manifestations qui avaient suivi la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad en Iran, les autorités avaient procédé à des blocages massifs de services et ordonné des interruptions de services ciblées géographiquement, mais n’avaient pas ordonné une coupure du service dans l’ensemble du pays.
[Source : AFP]
Le fournisseur d’accès à Internet (FAI) français French Data Network (FDN) a ouvert un accès pour que les Égyptiens puissent de nouveau se connecter au Web. Avec ses 200 abonnés et son titre de plus ancien FAI de l’Hexagone, FDN s’était rendu célèbre en combattant la loi Hadopi. Interview avec son fondateur, Benjamin Bayart.
• Le Point.fr : Pourquoi avoir ouvert ce numéro pour les Égyptiens ?
Benjamin Bayart : Des gens se battent pour la liberté, et d’autres, en face, tirent. Forcément, on se sent proche des manifestants. L’Égypte, je n’y suis jamais allé, et FDN n’est pas là pour faire la révolution. Nous sommes là pour faire qu’Internet marche : le réseau est en panne, nous le réparons. Le régime égyptien a coupé Internet, et donc la liberté d’expression. Pour moi, c’est le même objet.
• Comment ça marche ?
L’aspect technique est extraordinairement simple. Nous utilisons nos structures bas débit, que nous possédons toujours pour dépanner nos abonnés en cas de coupure ADSL. Il suffit d’appeler, avec un modem bas débit et y compris de l’étranger, le numéro « +33 1 72 89 01 50 ». Le nom d’utilisateur et le mot de passe sont « toto ». C’est une vraie ligne téléphonique, donc il suffit d’appeler avec un modem. Ça coûte cher en téléphone, mais ça marche !
• Combien de connexions sont arrivées depuis votre annonce ?
Nous ne voulons pas donner ce chiffre. Si je vous dis trois, c’est ridicule. Et si je vous dis 30.000, notre numéro sera immédiatement mis sur liste noire par les autorités égyptiennes. Mais nous avons vu des connexions arriver, notamment grâce au soutien de Michael Moore, qui a relayé notre numéro via son compte Twitter. Ses 746.000 abonnés ont largement diffusé la nouvelle !
• Quand allez-vous fermer le service ?
Ce compte de tests a toujours existé. Nous allons peut-être supprimer le compte « toto » dans les prochaines semaines, une fois que l’épisode égyptien sera passé. Mais peut-être pas : nous avons vu des connexions arriver de Syrie, d’Irak ou encore des Émirats arabes unis. Nous sommes ravis !
• D’autres vous ont-ils suivis ?
Quelques FAI étrangers semblent nous suivre. Et certains internautes publient les comptes de tests de grands FAI américains. L’idée se répand, c’est très sain !
• Vous vous êtes rendus célèbres en France lorsque vous avez dénoncé la loi Hadopi. Comment vous positionnez-vous ?
FDN s’est toujours défini comme non partisan. Nous avons toujours refusé de prendre part aux campagnes de tel ou tel parti. Mais cela ne nous empêche pas de défendre très clairement la liberté d’expression. Quand l’accès à Internet de braves gens est mis en panne par un gouvernement sans décision d’un juge, nous ne sommes pas d’accord.
• Ne craignez-vous pas que certains vous accusent de fournir l’accès Internet à des personnes malintentionnées ?
Nous fournissons l’accès à des terroristes en Égypte, je peux vous l’affirmer. Mais ce n’est que parce qu’ils sont nommés ainsi là-bas ! Nous ne sommes pas d’accord sur la définition de terroriste : ce n’est pas parce que des gens manifestent contre un gouvernement qu’ils sont des terroristes… Quant aux petits plaisantins, d’où qu’ils viennent, qui voudraient se connecter sur notre service pour consulter des contenus pédophiles par exemple, il faut qu’ils sachent que nous avons des traces de leur connexion, comme pour n’importe quel abonné ou presque. Nous avons au moins leur numéro de téléphone, et c’est une donnée très fiable si un juge souhaite les retrouver.
[Source : lepoint.fr]
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