Voilà qu’approche ce qui pourrait être un grand moment, la reconnaissance de l’État palestinien par la France, annoncée par le président de la République, Emmanuel Macron, un homme souvent moqué pour dire tout et faire son contraire. Ce serait donc pour le mois prochain, déclaré à grand renfort de trompettes, à la tribune de l’Onu avec son secrétaire général et le représentant de la France, puissance morale, dont on espère qu’elle entraîne assez de ralliements pour que l’État palestinien, toujours en formation depuis les lointains accords d’Oslo, il y a plus de trente ans, devienne enfin une réalité consistante, appuyée par une internationale de la paix.
Ainsi existeraient deux États, un « État juif » et un État palestinien. Une paix durable, avec d’abondantes garanties de sécurité pourrait alors s’installer. Ou pas, tant le ressentiment entre Palestiniens et Israéliens a été cultivé pendant des générations au point de prendre rang de mystique dans le monde arabo-musulman. Il fallait voir ces derniers temps l’ampleur des manifestations pro-palestiniennes à Dacca, au Bangladesh, si loin de Jérusalem. On voit aussi le sionisme se radicaliser au point d’envisager tranquillement une « solution finale » pour instituer le « grand Israël »…
Certes, il est possible de parier sur la paix. Mais quel pari !
À l’inverse de cette « solution à deux États », il est question d’une solution à « un État », autrement nommé État « bi-national ». « Une terre pour tous », comme l’évoquait il y a longtemps déjà le philosophe israélien Martin Buber, où tous seraient égaux et également protégés, un État laïc, qui reprendrait à son compte le « droit au retour » des Juifs du monde entier et reconnaîtrait un droit similaire pour les Palestiniens dont la diaspora est plus récente moins non moins comparable à celle des Juifs. Il n’y aurait plus une chose telle qu’un « État juif ». Encore faudrait-il s’assurer que celui-ci ne devienne pas un « État islamique », comme le revendiquent déjà des factions palestiniennes qui misent sur un triomphe démographique pour imposer leurs vues.
Un seul pays pour deux peuples qui se sont violemment affrontés depuis plus d’un demi-siècle semble conduire à d’effroyables conflits à l’intérieur de cet État unique, avec un risque réel de guerre civile.
Ainsi le réalisme imposerait la « solution à deux États » que la France se prépare à promouvoir. Mais deux États armés l’un contre l’autre ne feraient pas mieux que la guerre civile envisagée dans le cadre d’un seul État.
Retournant le problème en tous sens, il semble tout bonnement inextricable.
Resterait la solution d’une utopie qui prendrait corps sur la terre sacrée des trois monothéismes. Ni Juif, ni Musulman, les deux entités se définiraient comme laïques, ce qui est plus conforme au droit international, pour lequel la création en 1948 des États pakistanais et israélien constitue de pures hérésies. Un État, par définition, administre la population qui se trouve sur son territoire. Toute définition identitaire d’un pays est une contradiction dans les termes, une promesse de discrimination ou carrément d’extermination pour ceux qui ne partagent pas dans cette « identité ». C’est un très mauvais chemin pour la paix (Israël l’a abondamment vérifié) et une grande difficulté pour toute démocratie réelle.
L’utopie en question, pour avoir un sens et pour garantir la paix, doit commencer par démilitariser la région – et le monde. Elle doit affirmer le nouveau pays comme terre d’asile, pas seulement pour les Juifs dispersés dans le monde entier depuis toujours ou pour les Palestiniens exilés depuis des décennies, mais pour tous les réfugiés du monde entier, instituant un véritable droit d’asile universel, et accordant citoyenneté et droits égaux pour tous. Les représentants des trois religions béniraient l’entreprise en même temps que la communauté des nations, qui s’en porterait garante.
Une démilitarisation crédible devrait s’étendre, au-delà d’Israël, à l’ensemble de ses voisins, d’Egypte en Iran, et de Turquie en Arabie saoudite, à travers tout le dit Moyen Orient qui aujourd’hui absorbe une bonne part des dépenses militaires de la planète. Il serait amusant de calculer l’économie qui s’imposerait aussitôt à ces États, les énormes budgets consacrés aux armées devenant soudain une extraordinaire manne qu’il serait bon de diriger vers un fonds pour la paix, chargé d’assurer prospérité à tous. Un revenu d’existence pour chacun, les droits à l’éducation et à la santé garantis, et une politique environnementale résolue, seraient l’objectif immédiat d’un tel fonds.
Dans le même mouvement, l’interdiction universelle des guerres et la démilitarisation planétaire seraient à instaurer pareillement. Utopie ? Non, nécessité. Aujourd’hui la paix n’est plus un luxe mais un impératif pour l’Humanité. La vraie guerre de notre temps, c’est le combat pour sauver la planète des violents dérèglements écologiques que les sociétés militarisées ont provoqué sans égard pour le moindre bon sens. Et il est certain qu’une paix universelle ne serait possible que si les droits fondamentaux sont activement développés.
En 1948 était également proclamée la déclaration universelle des droits de l’homme, mûrement réfléchie, débattue, rédigée et adoptée mais aussitôt rangée comme lettre morte, sans aucune valeur dans le droit d’aucun pays, ni même pour l’ONU. Cette déclaration prévoyait des dispositions oubliées, comme son article 16 qui prévoit la liberté de circulation et d’installation, si contradictoire avec les actuelles politiques migratoires. Plus oublié encore son article 22 : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. »
Ainsi était posé le principe d’une sécurité sociale pour tous, à l’échelle mondiale, pour laquelle les pays riches seraient engagés solidairement avec les pays pauvres.
Ce ne sont là que des pistes, des aperçus, pour tenter de poser le problème apparemment si insoluble de Gaza et de la Cisjordanie dans une perspective plus large.
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