Les zadistes à découvert

Le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes est abandonné.
Après des semaines de tension médiatique, grimant les zadistes en véritables « terroristes verts » avant une possible expulsion de la ZAD, toute la presse étale désormais l’information du jour, avec les commentaires des uns et des autres (les réactions politiques des pour et des contres). On aura même entendu le premier ministre dire clairement que le réferundum local de 2016 était basé sur des informations erronées !

Mais chose n’est pas coutume, un large espace médiatique est concédé aux déclarations des opposants. Les citations laissent entrevoir les expérimentations sociales nouvelles, la vie sans État, sans police, etc.

Savourons donc ce moment, et continuons la bataille « pour » la ZAD et son monde, désormais débarrassé du « contre » l’aéroport.

Notre-Dame-des-Landes : demain est déjà à l’oeuvre

Par Luc Gwiazdzinski, Géographe et Olivier Frérot, Ingénieur des Ponts et Chaussées, conférencier — 20 janvier 2018 (tribune dans Libération)

Au-delà du symbole de NNDL, nombres de collectifs émergent en imposant de nouvelles manières de faire et d’être ensemble. Les politiques publiques sauront-elles prendre en compte ces « utopies réalistes » ?

Beaucoup a déjà été dit sur Notre-Dame-des-Landes : la très longue durée de ce projet, son caractère daté, son coût non maîtrisé, l’absence de lucidité des gouvernements et des administrations et les méthodes utilisées, par trop descendantes. Un cas d’école à étudier dans les instituts d’urbanisme, d’aménagement ou de sciences politiques.

Bien qu’attendue, la décision prise par l’actuel gouvernement est un événement marquant. Elle peut devenir un symbole, le signe que nous avons changé d’époque. Notre Dame des Landes est un projet du XXe siècle, qui a perdu sa raison d’être au XXIe. D’autres -comme l’autoroute A45 entre Lyon et Saint-Etienne- sont dans le même cas et s’éteindront faute de sens partagé. Oui l’arrêt du projet est une bonne chose. Oui, politiques, aménageurs, agriculteurs, entrepreneurs, associations et citoyens doivent réfléchir à de nouveaux modes d’élaboration des projets en amont, avec l’ensemble des acteurs d’ici et d’ailleurs. Oui nous espérons vivement un scénario de sortie sans violences.

Au-delà de cette décision se pose la question du traitement réservé par nos institutions publiques aux mobilisations et aux occupations qui se déploient dans les campagnes et dans les villes, pour s’opposer à des projets basés sur des pensées d’hier désormais infécondes. Comment imaginer et construire demain en nous mobilisant tous, autour de processus réellement démocratiques ? Loin des discours «déclinistes», qui marquent la fin d’un monde mais qui ignorent la vitalité et les valeurs de celui qui arrive, il faut que nous changions de regard sur ces énergies créatives qui surgissent dans les multitudes de collectifs qui s’organisent.

Un nouveau mode de penser

Ces mobilisations font partie d’innombrables projets collaboratifs en France et partout dans le monde, qui posent et imposent de nouvelles manières de faire et d’être ensemble. Elles sont les formes territorialisées d’un nouveau mode de penser, d’une autre manière d’agir et d’habiter le monde pour une métamorphose dans le faire et l’expérimentation. Elles participent à l’invention de communs ici et maintenant. Notre-Dame-des-Landes est une magnifique opportunité pour les institutions publiques de repenser leur missions fondamentales et leurs rapport aux dynamiques d’innovations collectives qui apparaissent en dehors d’elles. Elles doivent se laisser transformer par ces dynamiques vivifiantes au lieu de chercher à les rapatrier dans leurs propres catégories mortifères.

Dans le bocage nantais, dans le péri-urbain, dans l’urbain, en fait dans mille lieux de France, il s’agit désormais de réfléchir à la mise en place des processus capables de soutenir des projets et initiatives fragile et des moyens qui permettent la venue d’un monde plus ouvert, inclusif et inventif. Ne nous contentons pas seulement d’indignations à distance mais investissons localement sur les signaux faibles qui ne demandent qu’à répandre leur enthousiasme créatif.

Ces lucioles qui s’allument en France et dans tous les pays ne sont nullement le signe d’un archaïsme, d’une résistance passéiste, d’une indignation stérile, mais les preuves vivantes que quelque chose existe, émerge, qui dit d’autres voies, d’autres pistes pour une transformation profonde. Monnaies locales, permaculture, habitat partagé, pédagogies actives, assemblée des communs, tiers lieux, recyclage, mobilité douce…, s’inscrivent dans cette même dynamique.

L’urgence exige un autre rapport au monde, d’autres manières d’être et de faire, d’autres équipements, d’autres aménagements, outillages et formations qui ne viendront plus des Ministères ni de feu la DATAR (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale), ni même sans doute des collectivités locales mais d’ailleurs. Agences de développement ou d’urbanisme, écoles d’ingénieurs et de commerce, instituts de formation …, doivent changer de philosophie, oublier les certitudes de la Modernité technoscientifique, pour investir ces dynamiques et ces terrains qui nous obligent à quitter une métaphysique du vertical, du solide et du sédentaire pour accepter la fragilité, la mobilité, l’éphémère et les incertitudes d’un futur qui se construit en permanence.

Que l’on parle d’«Utopie réalistes», de «développement local», d’«innovation sociale» ou «territoriale», de «fabrique de communs», de «Zones d’autonomie temporaires», de «fablab territoriaux», voire de «design de politiques publiques», l’important est ailleurs: ces mobilisations sont là et elles ne feront que croître.

De la «pensée du tremblement»

Notre-Dame-des Landes n’est qu’une île dans un archipel d’initiatives qui naissent partout, sont visibles un temps, disparaissent un moment pour ressurgir ailleurs et autrement. Elles sont comme les champignons visibles d’un mycélium invisible qui se ramifie sous terre. Elles participent d’une «créolisation du monde», d’une «pensée du tremblement» chère à Edouard Glissant avec ses fragilités et ses impasses. Les rhyzomes deleuziens en rendent mieux compte que les représentations institutionnelles, hiérarchiques et territoriales datées.

Alors que la mer de Chine s’apprête à vivre l’une des plus grandes marées noires de l’Histoire –image d’une civilisation moderne désormais inféconde–, ces mobilisations sont les preuves vivantes qu’un autre monde se lève, où la priorité est de développer les relations des humains entre eux, avec les vivants et avec les éléments de la nature. Notre-Dame-des-Landes fait partie des «utopies réalistes», du «faire-en-commun», des nouvelles «fabriques de l’espace public» –au double sens de l’espace architectural et politique– qu’il convient désormais de prendre au sérieux et d’accompagner.

L’aménagement du territoire a vécu, les politiques publiques d’aujourd’hui ne peuvent plus ignorer que le monde a changé. Demain est déjà à l’œuvre. Acceptons de construire autre chose et autrement avec celles et ceux qui ont le courage d’agir ici et maintenant. Faisons de ces émergences lumineuses des territoires apprenants, les lieux des nouvelles universités ouvertes et généreuses. Confiance !

Quelques formules intéressantes sur le live du Monde de ce mercredi 17 janvier

«Comment peut se passer l’évacuation des zadistes ? Quid de la trève hivernale ?» (Jules)

Rémi Barroux : Pas facile de répondre à la question. Les conditions n’ont jamais été aussi favorables à un règlement pacifique de la question. Les forces engagées contre la construction de l’aéroport sont contentes, rassurées et n’ont plus aucune raison de chercher l’affrontement. Le premier ministre a laissé deux mois , “d’ici le printemps prochain” a-t-il précisé, aux occupants illégaux pour “partir d’eux-mêmes”. La trêve hivernale sera donc passée.

Les discussions dans le mouvement ont commencé depuis de longs mois sur le futur de la ZAD, des expériences agricoles qui y ont vu le jour, et des formes de vie collectives qui y ont émergé. On y verra donc plus clair d’ici quelques semaines.

«Que pensez-vous du vocabulaire militaire intimidant parlant même de morts de la part des Gendarmes et de certains journaux dont celui-ci? Les propos du Premier Ministre vont-il s appaiser enfin ce jusqu’au boutisme délétère ?» (peace love unity)

Rémi Barroux : Les images guerrières sont le propre de ce genre de conflits et certains médias ne sont pas avares dans la dramatisation de la situation et la mise en scène de possibles violences. Elles sont néanmoins parfois avérées et il convient alors de les relater, de les analyser. Vu le degré d’opposition, deux camps irréconciliables, sur le dossier de Notre-Dame-des-Landes, les jeux de rôle sont aussi accentués, les paroles définitives et les menaces à peine voilées. A l’arrivée, sur le terrain, les choses se passent souvent différemment.

Certains gendarmes et responsables du maintien de l’ordre ont ainsi évoqué, depuis plusieurs jours, la dureté des affrontements à venir, la violence supposée des zadistes ou l’importance du matériel guerrier qui leur serait opposée. C’était aussi une manière d’alerter les autorités politiques sur l’aspect délicat que prendrait l’intervention, sur l’importance des moyens aussi qu’il faudrait mobiliser.

[…]

«Bonjour, Qui sont les zadistes?Pourriez-vous nous présenter les différents profils et ambitions des Zadistes présents à NDDL ? Merci» (Carma)

Rémi Barroux : Il y a en effet de nombreux profils de zadistes. Les premiers arrivés étaient des militants altermondialistes, anticapitalistes et écologistes. Une partie de la mouvance la plus radicale, telle celle qui intervient dans les manifestations contre les sommets internationaux, voire les manifestations sociales, a aussi rejoint la ZAD, prête à en découdre avec les forces de l’ordre.

Sont aussi présents dans la zone des groupes de personnes plus marginaux, souhaitant vivre tranquilles, sans contrôle de police, sans servitude vis-à-vis de la société, tels qu’on peut en trouver dans les rues de grandes villes ou dans des squats urbains. Tous cohabitent avec les agriculteurs, les opposants historiques, non sans désaccord parfois durs sur les méthodes de lutte ou sur les règles de vie commune.

«A qui appartiennent les terres sur lesquelles squatent les zadiste ? Pour pouvoir rester il va falloir qu’ils achêtent les terres ?» (Romain)

Merci pour votre question, Romain, voici la réponse de notre journaliste :

Rémi Barroux : Les terres sont la propriété de l’Etat et du conseil départemental. Le premier ministre a annoncé qu’il n’était pas question de les garder vu que le projet d’aéroport ne se fera pas. Les terres vont donc soit revenir aux agriculteurs, qui rendront l’argent touché lors de leur cession, soit seront vendues dans le cadre de projets agricoles qui restent à définir. C’est tout l’objet des discussions qui vont avoir lieu avec les zadistes engagés dans des activités agricoles mais qui n’ont aucun titre de propriété

Un article dans le club-blogs de Mediapart :

L’aéroport de Notre Dame des Landes est mort? Vive la ZAD! » par Maxime Combes et Nicolas Haeringer.


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