les « nouveaux collabos » de Guéant

L’État milicien : voilà une perspective qui excite le ministre de l’intérieur, Claude Guéant. On comprend maintenant que c’est son œuvre, et qu’avant d’être ministre, dans ses fonctions de conseiller n°1 du président de la République, il a eu un rôle vraisemblablement déterminant dans l’incroyable construction législative qui a accouché cette année de l’article 113 de Loppsi et de la loi permettant la mobilisation de milices citoyennes en cas de « crise majeure ».

On peut dire qu’en dépit des dénonciations incessantes sur le site de Paris s’éveille, et du terrifiant dossier rassemblé sur celui de la LDH-Toulon, la création de milices para-policières n’a suscité aucune émotion.

Mais voilà que la LDH des Bouches du Rhône réagit et interpelle quatre commune de l’agglomération lyonnaise à la suite d’un député socialiste de Lyon, Jean-Louis Touraine.

Quand on sait que l’article 113 de la Loppsi qui autorise la police et la gendarmerie à embaucher 90 jours par an tout « citoyen volontaire » – en les rémunérant sur une base minimum de 160 euros par jour exonérés d’impôts et de charges sociales –, sans que le PS ait cru bon de l’inclure parmi les articles de la Lopsi contre lesquels il a déposé un recours devant le Conseil constitutionnel ; quand on sait que le projet de loi pour ces comités de citoyens vigilants – complémentaire de l’article 113 de la Loppsi – a été déposé en commun par un député UMP et un député PS…

Faut-il considérer que le député socialiste de Lyon est un original ?

Ou que, confrontés à la propagande active de Guéant pour ces nouvelles milices, certains prennent enfin conscience de l’énormité de ce qui est proposé là.

Deux articles sont parus cet été [voir ci-dessous], sur le site de Rue89 et dans Le Monde, pour rendre compte de ce phénomène – et dédramatiser : on relèverait surtout pour le moment les difficultés à mettre en place un dispositif qui rappelle l’occupation allemande – et la trop fameuse Milice de l’État français. Le public se méfierait…

Où l’on voit un élu écologiste, André Aschieri, se faire le « pionnier » du système des « voisins vigilants ». Où l’on voit que les gendarmes préfèrent parler de « voisins solidaires » – ça passe mieux. Où l’on voit surtout que seul la ministre, en conclusion de sa circulaire de quatre pages, a la bonté de rappeler que ceci s’inscrit dans le cadre de la Loppsi.

Il annonce au passage que « des travaux juridiques sont en cours pour consolider ce dispositif »… Il s’agit d’instituer un statut juridique de collaborateur occasionnel du service public. Ce qu’on a pu appeler ici les nouveaux collabos…

Paris s’éveille

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le communiqué de Jean-Louis Touraine, député socialiste de Lyon

Réserves et prudence face au dispositif « Voisins vigilants »

le 11 août 2011

La sécurité résulte d’une coproduction : État, Ville et Citoyens. Chacun a le droit à la sécurité s’il accepte de devoir y contribuer en portant plainte chaque fois que nécessaire et en signalant à la Police Nationale ou Municipale, comme la loi l’impose, tout crime porté à sa connaissance.

Maintenir cette pédagogie raisonnable va devenir plus délicat depuis que le Ministre de l’Intérieur propose des mesures beaucoup plus extrémistes, confinant à la surveillance permanente de ses voisins, à la délation, à l’instauration d’un succédané de milice, avec leurs conséquences de haine, de mésentente, de violences, de représailles.

Quel aveu d’échec dans le domaine de la sécurité pour Monsieur Sarkozy, successivement Ministre de l’Intérieur puis Président de la République ! Après avoir fait de cette question une exigence prioritaire, pour ne pas dire une obsession, il est amené à constater que les violences aux personnes s’aggravent, que les Français n’ont jamais été aussi inquiets de l’insécurité ambiante et que la Cour des Comptes a fait un rapport très rigoureux dénonçant les carences, insuffisances et échecs de la politique récente de sécurité publique.

Cela n’est guère surprenant quand le nombre de policiers a été diminué et quand la présence d’une police de proximité en contact avec les habitants pour accroître l’efficacité a été balayée d’un revers de main pour des raisons idéologiques.

Cela est aussi le fait d’une philosophie inquiétante et erronée, visant à dresser les Français les uns contres les autres, à désigner des boucs émissaires plutôt que de rassembler les gens et tenter d’améliorer le « vivre ensemble ».

Monsieur Guéant, comme Monsieur Sarkozy, est un homme intelligent. L’un et l’autre sont habiles dans la présentation de leurs mesures. Il demeure que la violence des paroles et des mesures ne peut se substituer à une réflexion sereine, à des moyens appropriés. La haine distillée par Monsieur Guéant n’est pas nouvelle. Quelques autres Ministres de l’Intérieur l’ont pratiquée avant lui. Ils n’ont pas obtenu les meilleurs résultats, ils n’ont pas laissé de bons souvenirs et ils ont parfois été victimes eux aussi de réactions haineuses.

(Source : jeanlouistouraine.net]

la LDH du Rhône contre les “voisins vigilants”

19 août 2011

La fédération du Rhône de la Ligue des droits de l’Homme réagit vivement à la candidature de quatre communes du département pour expérimenter le programme “Voisins Vigilants” [1]. Elle vient d’adresser au maire de chacune de ces communes une lettre que nous reprenons ci-dessous.

La démarche est appuyée par la délégation régionale Rhône-Alpes de la LDH, qui voit dans le dispositif une étape supplémentaire vers la privatisation de la sécurité publique, alors que la sécurité des personnes relève des missions de l’État. « Dans cette entreprise, il ne s’agit pas tellement de lutter contre une insécurité largement instrumentalisée par le pouvoir en place, mais bien d’ancrer au plus profond des esprits un sentiment d’insécurité qui permet à nos dirigeants de faire adopter nombre de lois liberticides. »

Cette position est partagée par le député Jean-Louis Touraine. Selon le premier adjoint au maire de Lyon, en charge de la Sécurité Publique, l’État cherche à mettre en place une « philosophie inquiétante et erronée qui vise à dresser les Français les uns contre les autres, à désigner des boucs émissaires plutôt que de rassembler les gens et tenter d’améliorer le vivre-ensemble ». Le député du Rhône dénonce également la politique sécuritaire du président de la République et de son ministre Claude Guéant, regrettant le retrait de policiers au profit d’un « succédané de milice » [2].

Fédération du Rhône de la Ligue des Droits de l’Homme

5 place Bellecour, 69002 Lyon

ldh.rhone@gmail.com

Lyon, le mercredi 10 août 2011

Objet : Mise en place du dispositif « Voisins Vigilants »

Monsieur le Maire

Nous nous permettons de nous adresser à vous, suite aux interrogations qui nous sont revenues après l’annonce du choix de votre ville pour expérimenter sur le Rhône le dispositif « Voisins Vigilants ».

Rejoignant les craintes et doutes qui nous ont été communiqués, la Fédération du Rhône de la Ligue des Droits de l’Homme émet ses plus vives réserves quant au dispositif.

Tout d’abord, ce n’est sans ironie que nous notons que le Gouvernement qui a le plus supprimé de postes d’agents de l’ordre, policiers ou gendarmes, en appelle maintenant à chaque citoyen pour assurer un rôle de vigilance et de fait de maintien de l’ordre.

Au-delà, nous n’estimons pas qu’il revienne à chaque individu de se substituer, sans formation ni travail de réflexion et déontologique, aux forces de l’ordre. Chaque citoyen, témoin d’un acte délictueux ou criminel est, naturellement, appelé à le signaler.

Faut-il prétendre aller plus loin et demander à chacun d’être dans une logique pro-active et d’être à la recherche de ces délits ou crimes ? Après les citoyens volontaires auxiliaires de police, maintenant les voisins vigilants, et demain ? Le Gouvernement n’a-t-il d’autre réponse à l’insécurité que la mise en place ensuite de milices d’habitants ? Faut-il donner raison aux « milices citoyennes » violentes d’extrême droite qui, il y a quelques mois, prétendaient assurer une tranquillité « civique » sur les Berges du Rhône à Lyon ?

Enfin, la Fédération du Rhône de la Ligue des Droits de l’Homme s’inquiète de la philosophie même qui tend ce projet. Avec les « Voisins Vigilants », nous faisons un pas supplémentaire dans la société de la suspicion. Chacun est appelé à voir en l’autre un délinquant ou un criminel potentiel, à douter en permanence de l’innocence de l’autre, à surveiller et s’auto-surveiller en permanence, comme aux meilleurs années de régimes hautement condamnés par tous les démocrates.

Le dispositif « Voisins Vigilants », déjà expérimenté et aujourd’hui généralisé sans bilan de ces expérimentations, ce n’est pas la sécurité, c’est la société de la surveillance et de la suspicion, c’est un projet de société bâti sur la présomption de culpabilité.

Association républicaine, la Ligue des Droits de l’Homme est très attachée au maintien de la sécurité républicaine. Cet attachement profond explique le ressenti vif lorsque la Fédération du Rhône à l’impression que cette question fondamentale, qui interpelle nos concitoyens dans leur quotidien, est traitée par notre Gouvernement de manière médiatique et inefficace. Les forces de l’ordre républicaines et une Justice avec des moyens enfin amplifiés sont la seule réponse à l’insécurité ; des « milices citoyennes » ne peuvent se substituer à une police de proximité et à un travail de prévention et de suivi efficace qui se prolongent chaque fois que nécessaire par une répression proportionnée.

Vous ayant communiqué nos réserves, dans un travail de réflexion, nous sommes intéressés par toute réponse que vous pouvez y apporter.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions, Monsieur le Maire, …

Le président de la fédération du Rhône de la LDH

[Source : LDH-Toulon]

Dispositif « Voisins vigilants » : Touraine craint le retour des milices…

11 Août 2011

« La sécurité résulte d’une coproduction : État, Ville et Citoyens. Chacun a le droit à la sécurité s’il accepte de devoir y contribuer en portant plainte chaque fois que nécessaire et en signalant à la Police Nationale ou Municipale, comme la loi l’impose, tout crime porté à sa connaissance ». Mais, dans le communiqué adressé à la rédaction de Lyon 1ère, Jean-Louis Touraine met en garde contre certains dispositifs défendus par le gouvernement, condamnant « des mesures beaucoup plus extrémistes, confinant à la surveillance permanente de ses voisins, à la délation, à l’instauration d’un succédané de milice, avec leurs conséquences de haine, de mésentente, de violences, de représailles ».

C’est l’un des éléments-clés de la politique de prévention de la délinquance relancée par Claude Guéant depuis son arrivée au ministère de l’intérieur en février : la « participation citoyenne ». Le système de “Voisins vigilants”, qui existe depuis 2007, surtout pour prévenir les cambriolages, concerne 29 départements en juin.

Dans une circulaire du 22 juin, le ministre de l’intérieur Claude Guéant a annoncé aux préfets sa volonté d’« étendre la mise en œuvre du dispositif » en leur demandant de « promouvoir le concept ». Le but : faire diminuer, « dans les quartiers, les lotissements ou les zones pavillonnaires », les « cambriolages, démarchages conduisant à des escroqueries, dégradations et incivilités diverses » grâce à des habitants interlocuteurs privilégiés de la police ou de la gendarmerie.

Le ministre va jusqu’à envisager de transformer les volontaires en « collaborateurs occasionnels du service public ». Ce statut, autorisé dans le domaine de la sécurité par la Loppsi 2 du 15 mars, rend possible une rémunération.

Jean Louis Touraine, le premier adjoint de Gérard Collomb, en charge notamment de la Sécurité Publique, parle d’un « aveu d’échec dans le domaine de la sécurité pour Monsieur Sarkozy, successivement Ministre de l’Intérieur puis Président de la République ! »

« Après avoir fait de cette question une exigence prioritaire, pour ne pas dire une obsession, il est amené à constater que les violences aux personnes s’aggravent, que les Français n’ont jamais été aussi inquiets de l’insécurité ambiante et que la Cour des Comptes a fait un rapport très rigoureux dénonçant les carences, insuffisances et échecs de la politique récente de sécurité publique ».

L’élu dénonce le nombre de policiers en baisse et la fin de la police de proximité. « Cela est aussi le fait d’une philosophie inquiétante et erronée, visant à dresser les Français les uns contres les autres, à désigner des boucs émissaires plutôt que de rassembler les gens et tenter d’améliorer le “vivre ensemble”. »

Notes

[1] Il s’agirait de Ecully, Caluire, Gleizé (Beaujolais) et Saint-Pierre-la-Palud (Nord-Ouest).

[2] Référence : http://www.lyonmag.com/article/26679/jean-louis-touraine-trouve-le-dispositif-voisins-vigilants-trop-extremiste [Voir ci-dessous.]

[Source : Lyon 1ère]

11-08-2011

Jean-Louis Touraine trouve le dispositif « Voisins vigilants » trop extrémiste

Alors que quatre communes du Rhône auraient candidaté pour intégrer ce programme, l’adjoint au maire de Lyon a donné son avis sur la question. Selon J.-L. Touraine, l’État cherche à mettre en place une « philosophie inquiétante et erronée qui vise à dresser les Français les uns contre les autres, à désigner des boucs émissaires plutôt que de rassembler les gens et tenter d’améliorer le vivre-ensemble ». Le député du Rhône dénonce également la politique sécuritaire du président de la République et de son ministre Claude Guéant, regrettant le retrait de policiers au profit d’un « succédané de milice ».

Le dispositif « Voisins vigilants », déjà en place dans certaines communes de France, consiste à introniser des veilleurs au sein des quartiers. Les voisins, rémunérés, surveillent alors les maisons des autres en faisant des rondes. Le système aurait fait ses preuves, notamment dans la Drôme où les cambriolages ont baissé de 20 à 40%. Dans le Rhône, Ecully et Caluire semblent intéressés de tester le dispositif. Tout comme Gleizé (Beaujolais) et Saint-Pierre-la-Palud (Nord-Ouest).

[Source : LyonMag]

L’opération « Voisins vigilants » ne fait pas recette

04.08.11

C’est l’un des éléments-clés de la politique de prévention de la délinquance relancée par Claude Guéant depuis son arrivée au ministère de l’intérieur en février : la « participation citoyenne ». Le système de « Voisins vigilants », qui existe discrètement depuis 2007, surtout pour prévenir les cambriolages, concernait 29 départements en juin. Malgré un accueil mitigé de l’initiative, la Place Beauvau souhaite en mailler le territoire.

Dans une circulaire du 22 juin, le ministre a annoncé aux préfets sa volonté d’« étendre la mise en œuvre du dispositif » en leur demandant de « promouvoir le concept ». Le but : faire diminuer, « dans les quartiers, les lotissements ou les zones pavillonnaires », les « cambriolages, démarchages conduisant à des escroqueries, dégradations et incivilités diverses » grâce à des habitants interlocuteurs privilégiés de la police ou de la gendarmerie.

Le ministre va jusqu’à envisager de transformer les volontaires en « collaborateurs occasionnels du service public ». Ce statut, autorisé dans le domaine de la sécurité par la Loppsi 2 du 15 mars, rend possible une rémunération.

« CLIMAT DE DÉLATION »

Dans le Haut-Rhin, département pilote, le préfet avait, dès novembre 2010, lancé l’expérimentation dans cinq communes : Ribeauvillé, Lutterbach, Cernay, Soultz et Altkirch. Des communes rurales, mais pour la plupart situées dans l’orbite de Mulhouse. Neuf mois plus tard, personne n’a donné suite. Dès le 7 novembre, un seul couple se présente à la première réunion, à Soultz (7 400 habitants). À Lutterbach (6 150 habitants), le maire (divers droite), André Clad, a organisé des réunions dans deux quartiers. Résultat : « Nous n’avons pas eu de volontaires. » Il hésite. « Le problème, c’est que les gens ont eu peur d’un climat de délation. Il y a le souvenir de la dernière guerre… »

Une inquiétude qui a freiné également le maire (UMP) d’Altkirch (5 900 habitants), Jean-Luc Reitzer. Lorsqu’il a présenté le projet à son conseil municipal, « le fait de quadriller la ville, de désigner par quartier des responsables, a rappelé des pratiques qu’on aimerait oublier. Ça a choqué ». « Et puis qui choisir, comment éviter la subjectivité des référents ? », ajoute-t-il. Le responsable du programme au groupement de gendarmerie du Haut-Rhin, le capitaine Michel Di Girolamo, reconnaît que le « contexte » alsacien, avec le souvenir de la guerre, a plombé la mise en place du dispositif.

D’autant que les maires des cinq communes pilotes ont découvert tardivement qu’ils avaient été choisis. M. Clad n’avait pas fait de demande. Il s’explique le choix de son village par les « bonnes relations » entretenues avec la gendarmerie… Des échanges qui rendent justement, à son sens, tout « dispositif particulier » inutile.

EXEMPLES BRITANNIQUE ET AMÉRICAIN

À Altkirch, M. Reitzer n’était pas volontaire non plus, même s’il apprécie la « sollicitude » de la préfecture, alors qu’il signalait depuis quelques mois aux autorités quelques « soucis » : incivilités, vandalisme de « petits groupes de jeunes qui insultaient les passants, squattaient les espaces verts et la gare ». Finalement, l’épisode a été un « petit aiguillon » pour trouver une voie différente : la commune a réorganisé sa police municipale. Grâce à deux emplois aidés, des rondes de nuit ont été instituées.

À l’autre bout de la France, dans les Hautes-Pyrénées, le préfet a aussi fait le métier. De Bagnères-de-Bigorre à Argelès-Gazost, il a défendu « une implication plus importante » des habitants dans leur propre sécurité, devant des salles parfois clairsemées. À Tarbes, la réunion du 6 juillet dans le quartier de la Gespe s’est bien passée, raconte Roger Calatayud, adjoint au maire (UMP) chargé de la sécurité. Elle n’a pas pour autant abouti à l’élaboration d’un protocole, recommandée par le ministère, ou à la mise en place des « référents » : « Ça n’a pas été jugé utile. »

La participation citoyenne, inutile ? Pour Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat Unité-SGP-Police (majoritaire), c’est surtout un « copié-collé des exemples britannique et américain qui ne correspond pas à la mentalité française ». Le ministère cite d’ailleurs, dans la circulaire du 22 juin, « le “neighbourhood watch” mis en œuvre depuis de nombreuses années aux États-Unis et en Grande-Bretagne ».

« CE N’EST PAS TRANSPOSABLE PARTOUT. »

Dans la Drôme, citée en exemple par le ministre, la préfecture défend un dispositif « très localisé » et affirme ne pas vouloir « gonfler » la réussite affichée. De fait, sept communes ont appliqué la mesure, dont deux – Donzère, la ville du ministre de l’énergie, Eric Besson, et Loriol – avec un certain succès, selon l’intérieur, qui fait état d’une baisse des cambriolages de 42% à Donzère et de 20% à Loriol en 2010.

Le lieutenant-colonel Philippe Talucier, numéro deux du groupement de gendarmerie de la Drôme, insiste : « Ce n’est pas transposable partout. » Seuls des quartiers pavillonnaires, constitués de résidences principales et habités par au moins quelques retraités ou femmes au foyer, pour assurer une « présence dans la journée », ont été sélectionnés. Petit plus, l’existence préalable d’une certaine « cohésion ». D’ailleurs, la gendarmerie préfère parler de voisins « solidaires » plutôt que « vigilants ».

Une mairie de gauche s’intéresse, prudemment, au dispositif. À Romans-sur-Isère, le maire (PS), Henri Berthollet, discute avec la préfecture : au premier semestre, les cambriolages ont été multipliés par deux et les vols avec effraction par 3,4 par rapport à 2010. « Nous serons attentifs à ne pas faire émerger des personnes déjà surattentives, voire paranoïaques », assure le directeur de la tranquillité publique, Philippe Pourtier. Lors d’une première réunion avec le commissaire, la mairie a insisté : surtout, pas de délation…

[Source : le Monde]

« Voisins vigilants » : Guéant veut des volontaires, et vite

Dans quelques villes pilotes, les habitants « perplexes » ne veulent pas tester la « participation citoyenne » à la lutte anti-délinquance.

Dans une circulaire datée du 22 juin, Claude Guéant demande aux préfets et aux directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie de lui « faire parvenir, pour le 31 juillet, l’état d’avancement des initiatives et des mesures » prises pour généraliser cette « participation citoyenne » à la lutte contre la délinquance.

Évoquant une « solidarité de voisinage », le ministre de l’Intérieur rappelle le principe de cette association entre la population et les forces de l’ordre :

« Le concept vise à développer, chez chaque personne disposée à participer à sa propre sécurité dans son quartier, son lotissement ou son village, un comportement de nature à mettre en échec la délinquance. Les personnes volontaires seront donc sensibilisées en vue :

• de l’accomplissement d’actes élémentaires de prévention tels que la surveillance des logements temporaires inhabités, le ramassage du courrier des vacanciers ;

• d’une posture de vigilance accrue à l’égard des comportements et événements suspects (démarcheurs trop insistants…) ;

• de l’acquisition du réflexe de signalement aux autorités compétentes de tout fait anormal (véhicules semblant en repérage, dégradations, incivilités…). »

Délation ou « solidarité de voisinage » ?

Pas question de donner des arguments à ceux qui y voient un encouragement à la délation, voire à la constitution de milices. Claude Guéant rappelle que les citoyens se portant volontaires ne seront pas là pour jouer aux gendarmes :

« Ces “voisins vigilants” ne sauraient se prévaloir de prérogatives administratives ou judiciaires. En ce sens, ils ne peuvent en aucun cas mettre sur pied un dispositif du secteur contrôlé par ses habitants. »

Cependant, certains pourraient se voir accorder un statut de « collaborateur occasionnel du service public », prévu dans la loi Loppsi votée en mars. Ce statut nécessite la signature d’un « contrat d’engagement » et donne droit à des indemnités, pour « des missions de solidarité, de médiation sociale, d’éducation à la loi et de prévention, à l’exclusion de l’exercice de toute prérogative de puissance publique ».

Le principe est simple, mais la mise en pratique se révèle beaucoup plus compliquée. « Des travaux juridiques sont en cours pour consolider ce dispositif », note Claude Guéant dans sa circulaire. Le système a déjà été expérimenté dans 29 départements, mais l’expérience n’a pas toujours été concluante.

En Alsace, des réunions vides et pas de volontaires

Exemple : cet automne, le préfet du Haut-Rhin annonçait fièrement que cinq communes pionnières allaient tester la « participation citoyenne ». Soultz, 7 000 habitants, a été la première à signer une convention avec l’État et la gendarmerie, pour renforcer la sécurité dans un quartier résidentiel.

Il ne restait plus qu’à trouver des citoyens volontaires. Début novembre, lorsque le maire, le sous-préfet et les gendarmes ont organisé la réunion publique, ils se sont senti un peu seuls : selon le quotidien L’Alsace, seuls deux habitants du quartier s’étaient déplacés. Et ils n’ont même pas voulu signer comme « voisins vigilants ».

Sur la même liste, Ribeauvillé, 4 800 habitants, n’a finalement pas signé la convention. Dans la banlieue de Mulhouse, la ville de Lutterbach, 6 000 habitants, a bien organisé la réunion publique, mais sans beaucoup de succès : une vingtaine d’habitants avait fait le déplacement. Et aucun ne s’est porté volontaire.

« Les gens étaient perplexes », raconte Francis Wira, directeur des services généraux de la mairie. Certains ont évoqué les risques de délation, et Lutterbach abrite déjà une brigade de gendarmerie. La délinquance ? « Surtout des incivilités comme on en trouve partout ailleurs, des tags, des scooters trop bruyants… » La ville n’avait en fait rien demandé à l’État :

« C’est la gendarmerie qui nous avait contactés, il n’y avait pas eu de demande formelle de notre part. Ça ne répondait pas à un besoin que nous avions identifié sous cette forme. »

« Rechercher l’engagement de la population »

Dans sa circulaire, Claude Guéant recommande donc aux préfets, aux policiers et aux gendarmes de soigner leur communication, pour obtenir « l’adhésion des élus » et « rechercher l’engagement de la population ».

C’est ce qu’a fait le préfet des Hautes-Pyrénées mercredi soir, en organisant une réunion publique à Tarbes. Une ville de 46 000 habitants – trois fois plus pour l’agglomération entière –, placée sous la compétence de la police nationale, pas de la gendarmerie.

Pour cette opération de pédagogie, la préfecture avait choisi le quartier pavillonnaire de la Gespe, habité en majorité par des retraités. Une soixantaine d’habitants ont assisté à la rencontre, explique Roger-Vincent Calatayud, l’adjoint au maire (UMP) en charge de la sécurité. Selon lui, il n’y a pas été question du recrutement de volontaires :

« Le but de la réunion était de briser une certaine indifférence, de sensibiliser à une solidarité active. Le message du préfet a été que la police nationale était à leur disposition et qu’il ne fallait pas hésiter à les avertir, d’autant que la période estivale commence. »

Selon Claude Guéant, aucun doute : là où elle a été mise en œuvre, la « participation citoyenne » a fait chuter le nombre de vols et augmenter celui des arrestations de malfaiteurs en flagrant délit.

Dans les Alpes-Maritimes, « la haie de cyprès sépare du voisin »

Les « voisins vigilants » font-ils vraiment fuir les délinquants ? Oui, assure André Aschieri, maire de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), 10 500 habitants. Cet écologiste, à la tête d’une majorité divers-gauche, est un des pionniers de la « participation citoyenne » en France.

Coincés entre Cannes et Grasse, Mouans-Sartoux et ses villas attirent les cambrioleurs. Dès 2005, la ville a mis en place un réseau de « voisins vigilants » : les habitants qui y participent peuvent contacter des citoyens « référents » – un par quartier –, eux-mêmes en contact avec la police municipale. André Aschieri explique :

« Ce n’est pas vraiment pour qu’il y ait une surveillance de leur part. Ce que nous voulons, c’est de la solidarité. Ici, la haie de cyprès sépare du voisin, on ne se connaît pas. »

Selon le maire, le nombre de cambriolages aurait chuté de moitié « les deux premières années », mais n’aurait plus beaucoup évolué depuis. La ville aurait ainsi atteint un palier : « difficile de descendre en dessous », admet André Aschieri.

[Source : rue 89]


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