Voyage en terre d\’immigration

Halima est marocaine. Sans doute
est-<:e son plus grand tort : de ce fait, elle tombe sous le coup de la loi. Pour ce qu\'elle est: une \"immigrée\". En 1990, elle arrive en France pour y poursuivre ses études, s\'inscrit en DEUG de lettres, et rencontre Alain, professeur de cinéma rattaché aux ministères de !\'Education nationale et de la Coopération. Alain et Halima se marient en 1992 et Halima demande la nationalité française, à laquelle elle a droit. Sur ce, Alain est nommé à la RadioTélévislon djiboutienne et les deux époux s\'y rendent. La carte de séjour de Halima expire ... et les ennuis de la jeune femme commencent. C\'est le début d\'un engrenage absurde : depuis, en effet, Hallma n\'a obtenu ni la carte de séjour à laquelle son mariage etjou son inscription à · l\'université devraient pourtant lui donner droit - si ce mot a encore U\'n sens pour les administrations qui \"gèrent\" les immigrés - ni la naturalisation. e e Elle réussit certes à rentrer en France, mais avec un visa touristique qui l\'oblige à quitter le territoire dans les trois mols. Tous les trois mols, elle renouvelle donc l\'opération. En juillet 1993, est votée la loi Méhaignerle sur la nationalité, dont chacun croit, à juste titre, que c\'est une loi Pasqua puisque les services du ministre de l\'intérieur ont pris une part très active à sa rédaction. Dans ces nouvelles conditions, Halima va donc devoir attendre une année de plus avant d\'obtenir sa naturalisation. e e Elle se trouve contrainte à jongler avec d\'invraisemblables considérations de date d\'expiration des visas de tourisme qu\'on lui accorde par tranches de trois mols à Djibouti. SI elle veut se rendre au Maroc, elle doit prendre garde à rentrer en France avant que son visa ait expiré - car elle sait qu\'au consulat de France au Maroc, elle aurait des difficultés extrêmes à se voir délivrer un visa. Un problème n\'allant jamais seul, voilà que son passeport marocain arrive à expiration. Il faut le renouveler. Problème : Halima et Alain ne sont pas mariés au regard de la loi marocaine - car Alain n\'est pas musulman. Ils finissent par régler cette \"difficulté dans la difficulté\" et reprennent le cours normal de l\'interminable procédure. e e De retour à Paris en mai 1994, et partant du principe que rien n\'est acquis et que la procédure de naturalisation française peut traîner encore, Halima sollicite en juin une carte de résidente, valable dix ans. Alain est nommé à Montréal. Il part. Halima reste : elle doit préparer sa session de septembre. La préfecture la convoque régulièrement pour qu\'elle joigne des pièces à son dossier. Un jour on lui demande le bail de l\'appartement en son nom et en celui de son mari, un jour le compte bancaire commun - •Je me demande comment j\'aurais fait si nous nous étions mariés sous le régime de la séparation de biens•, s\'interroge candidement Hallma -, ou bien ce sont les fiches de pale d\'Alain, ou ses feuilles d\'impôts depuis 1991. e e Elie n\'a pas de papiers en règle durant toute cette période. La seule pièce qu\'elle puisse présenter en cas de contrôle d\'identité, c\'est sa convocation à la préfecture. Novembre 94 : elle y est à nouveau convoquée. Bien sûr, on ne vous dit pas pourquoi. On vous fait venir comme si on comptait vous octroyer une carte de séjour. Vous ne savez pas ce qui vous attend ; dans bien des cas, ce sont tout simplement les menottes. A la préfecture, on lui remet une Invitation à quitter le territoire dans les trente Jours, sous peine d\'une amende de vingt mille francs et de un an de prison. En effet, aux termes de la loi Pasqua, les conjoints de Français ne sont plus attributaires de plein droit de la carte de résident dès lors que • la communauté de vie a cessé •. A partir du moment où le conjoint est parti à l\'étranger- et bien qu\'il y ait été envoyé en mission par l\'Etat français 1-, l\'Adminlstratlon estime qu\'il n\'y a pas communauté de vie. Pas de vie commune, pas de papiers ... Quant au dossier de naturalisation, pas de nouvelles. •On m\'a demandé les papiers les plus invraisemblables, raconte Halima. L\'acte de mariage des arrière-grands-parents de mon mari I • Bien entendu, le fait qu\'Halima soit copropriétaire, avec son mari, d\'une maison de campagne, ne change strictement rien. SI elle ne vit pas avec son mari, c\'est que le mariage est \"blanc\". Par conséquent, Halima sera expulsée. • Ils ont la psychose du mariage blanc, expilque-telle. Tout mariage devient suspect. • Elle se rend donc à Montréal rejoindre son mari. Non sans mal - les autorités canadiennes étalent peu désireuses de l\'accueillir. Elle vit aujourd\'hui au Québec, mals n\'a ni le droit de travailler, ni même celui d\'être étudiante. e e De son expérience avec les administrations françaises, Hailma garde le souvenir d\'un voyage dans un roman de Kafka. • Les consulats de France à l\'étranger ne demandent pas tous les mémes papiers ... Cette administration ne reconnait aucun cas particulier. .. Les gens sont traités comme des moutons I •Ce qui l\'a le plus choquée, c\'est l\'accueil : •J\'ai assisté à des scènes Incroyables. On tient dans les préfectures des propos racistes à des gens qui n\'osent pas se défendre parce qu\'ils ont peur qu\'il leur arrive des ennuis. J\'ai vu un Africain qui a osé parler sans autorisation. Il voulait expliquer son cas. La fonctionnaire lui a dit de se taire. li a voulu reprendre son explication, alors elle lui a dit: \"Mais taisez-vous 1 Vous continuez à parler ? Très bien, je vals vous faire revenir dans deux mols.\" L\'homme a tenté de protester- très poliment. A ce moment-là, elle a appelé son supérieur, et on a reporté de deux mois l\'examen du cas de cette personne. • e e Cas Isolé ? Le problème est que ces cas particuliers sont le lot quotidien dar:is les préfectures ; que, de cas particulier en cas particulier, c\'est un véritable système qui semble être en place. Toute personne qui se rend régulièrement à la préfecture a plusieurs histoires comme celle-<:I à raconter. • • C\'est peut-être parce que c\'est fréquent ..• On peut sans doute aller jusqu\'à dire que cela s\'inscrit dans une vaste politique, fondée sur quelques pratiques simples érigées au rang de principes : • On n\'entre pas • - si on a, malgré toutes les barrières en place, réussi à entrer-. • On ne reste pas •, et pour ceux qui ont le droit de rester, sont en règle, mais souhaiteraient être traités avec plus de décence, • On ne vous retient pas• ... Cette politique, la droite n\'en est pas l\'instigatrice. La gauche, notamment lors du passage d\'Edith Cresson à Matignon et de Philippe Marchand place Beauvau, a largement sa part de responsabilité. Mais depuis l\'arrivée du tandem Bailadur-Pasqua, l\'aggravation a été spectaculaire: on assiste d\'abord à la réforme, le 22 juillet 1993, du code de la nationalité. Viennent ensuite la loi du 10 août 1993 sur les contrôles et vérifications d\'identité (\" L \'Identité de toute personne ( •.• )peut être contrôlée •), et celle du 24 août 1993 relative à la maitrise de l\'immigration et aux conditions d\'entrée, d\'accueil et de séjour des étrangers en France. Puis, est élaborée la loi du 25 novembre 1993, relative aux accords internationaux sur le droit d\'asile. Enfin, pour terminer l\'année en beauté, la loi du 30 décembre 1993, relative à la maîtrise de l\'immigration et aux conditions d\'entrée, d\'accueil et de séjour des étrangers en France. Plus un nombre Impressionnant de décrets et mesures d\'application. Tout ceci venant s\'ajouter à l\'arsenal législatif mis en place par les gouvernements précédents. Faisons le point des mesures prises depuis quelques années, et qui vont toutes dans un sens défavorable aux Immigrés et aux étrangers. Restrictions apportées au droit du sol Le droit du sol est, dans le droit français, la conception traditionnelle en matière de nationalité. Il prévoit que toute personne née sur le territoire de la République est française. Mais dorénavant, suite à la réforme du code de la nationalité, le jeune né en France de parents étrangers est réputé étranger jusqu\'à l\'âge de seize ans ; Il doit ensuite demander «solennellement» entre seize et vingt et un ans la natlonalitê française, et l\’acquiert sous réserve de quelques conditions de bonne tenue
pendant la période qui a précédé cette
demande : pour les \ »méchants\ » (par exemple,
les adolescents qui ont été condamnés pour
trafic de stupéfiants), la loi prévoit des mesures
de perte du droit à la nationalité. e e D\’autre part, les jeunes en question étant
réputés étrangers, Ils ne fournissent plus à leurs
parents une protection si ces derniers sont en
situation irrégullère. Ils sont donc susceptibles
d\’être expulsés. Cette disposition crée ainsi des
étrangers et des clandestins. Ble crée des
situations étranges dans les familles – des
frères et soeurs réputés de nationalité différente,
on ne volt pas ça dans tous les pays 1 Elle
génère une Insécurité sur l\’avenir. Après tout,
qui peut garantir que dans les seize prochaines
années, la loi n\’aura pas été modifiée à nouveau
dans un sens encore plus restrictif qui
soumettrait l\’acquisition de la nationalité à des
conditions plus sévères ?

Lutte contre les \ »mariages blancs\ » (comprenez \ »mixtes\ »)

Bien qu\’il semble acquis qu\’en droit français ·
on est présumé lnnocentjusqu\’à preuve du
contraire, tout mariage entre un(e)
ressortlssant(e) françals(e et un(e) étranger(e)
est a priori suspect: si vous vous mariez, c\’est
pour la nationalité ••. e e Et après tout, pourquoi ne se marierait-on pas
pour la nationalité ? En vertu de quels principes
le mariage, acte privé librement consenti par
excellence, devrait-li être motivé? Selon l\’article
16 de la Déclaration universelle des droits de
l\’homme, • à partir de l\’âge nubile, l\’homme et la
femme, sans aucune restriction quant à la race,
la nationalité ou la rellglon, ont droit de se marier
et de fonder une faml/le •. Il n\’est nulle part fait
mention d\’une obligation de s\’aimer. Après tout,
les mariages d\’intérêt ont toujours existé. On
s\’est toujours marié pour l\’argent, le mariage
d\’amour est une relative lnnQVation – guère plus
de deux siècles. Pourquoi n\’aurait-on pas droit
de se marier pour la nationalité ? Surtout, cette
mesure de lutte contre les mariages \ »blancs\ »
donne aux autorités – maire et procureur de la
République – un pouvoir discrétionnaire
d\’appréciation du caractère blanc ou non blanc
du mariage en question, et on se demande quels
critères elles appliquent pour en juger … On est,
bien sûr, traité différemment d\’une commune à
l\’aûtre – et la couleur politique de la municipalité
n\’est pas seule en cause: c\’est du cas par cas;
Il est par exemple apparemment plus facile de
contracter un mariage mixte dans le treizième
arrondissement de Paris (au maire RPRchiraqulen
Jacques Toubon) qu\’à Montreuil (dont
le maire est Jean-Pierre Brard, communiste
rénovateur) …

Application systématique de la double peine

Il s\’agit de la peine d\’expulsion qui s\’ajoute à
la peine d\’incarcération. La gauche  u pouvoir ne
s\’est d\’ailleurs pas grandie en appliquant cette
mesure en dépit des tentatives de certains de
ses députés pour la faire Interdire. Le Conseil
constitutionnel ne s\’est pas grandi non plus en validant, par un arrêt rendu le 9 janvier 1990, le principe de la double peine au motif que l\’expulsion d\’un étranger n\’a pas le caractère d\’une sanction mals d\’une mesure de police. Pas la peine, dès lors, d\’attendre le jugement de l\’autorité judiciaire : concrètement, cela veut dire que la présomption d\’innocence n\’est pas une raison suffisante pour surseoir à une expulsion. On a beau être Innocent, on n\’en est pas moins expulsable(1).

(…)
manque une colonne

(…)

n\’a ni le droit de travailler, ni celui de bénéficier
de la Sécurité sociale. De sorte que, là ·encore,
les lois Pasqua créent des clandestins, suscitent
une précarisation du sort de plusieurs
personnes, et génèrent des situations de
détresse nouvelles. On pense, par exemple, aux
réfugiés d\’Europe de l\’Est qui n\’ont pas droit de
travailler, et se retrouvent clochardisés, réduits
à la mendicité, humiliés. Mals, bien entendu,
•ceux qui ne sont pas contents n\’ont qu\’à
rentrer dans leur pays. Personne ne les en
empêche•.

Tentative d\’instauration d\’un visa de sortie et de retour

Il concerne tout étranger qui souhaiterait quitter
le territoire français (tourisme, affaires … ).
Succès partiel pour une mesure sciemment
attentatoire à la liberté d\’aller et de venir : le
Conseil constitutionnel donne son aval à
condition que ce visa ne soit qu\’une formalité,
et que sa délivrance soit automatique.
Une formalité de plus, donc, avec encore une
matinée à la préfecture, encore un papier qui
manque, encore la joviale courtoisie des
fonctionnaires.

Retour au droit commun pour les algériens

Les Algériens bénéficiaient depuis 1962, en
vertu des accords d\’Evian, d\’un statut à part.
Alors même que l\’Algérie sombre dans un chaos
tragique, la France – pour des raisons de
sécurité qui méritent certainement d\’être prises
en compte – ferme son consulat en Algérie. Les
dossiers de demande de visa seront examinés •..
à Nantes.
La Poste algérienne n\’est malheureusement
pas très performante ces temps-ci. Les visas
sont délivrés au compte-gouttes – il ne s\’agit pas
d\’avoir à faire face à une arrivée massive
d\’ Algériens, vous comprenez. Tous les jours,
des hommes et des femmes sont assassinés
en raison de leurs convictions. Parmi ceux-ci,
combien ont vu leurs demandes de visa
rejetées ? Un seul chiffre suffit à comprendre
la gravité de la situation : 1,5 % des Algériens
qui demandent le statut de réfugié politique
l\’obtient!31• • e e De plus, le droit n\’est pas très adapté à la
situation algérienne et le gouvernement, une fois
n\’est pas coutume, ne montre guère
d\’empressement à corriger les effets pervers
d\’une interprétation restrictive de la Convention
de Genève. Celle-ci prévoit que l\’asile est délivré
à ceux qui sont persécutés par leur
gouvernement. Pas par les terroristes de
l\’opposition. Par conséquent, la législation
française est mieux adaptée à l\’accueil des
intégristes que des démocrates. Charles Pasqua
lui-même a reconnu la carence\’41, mais il n\’a pas
pour autant indiqué quelle solution il comptait y
apporter … Vous avez dit bizarre ? Ou avez-vous
dit qu\’on n\’avait peut-être pas envie d\’introduire
dans les textes une disposition selon laquelle les
démocrates en danger se verraient offrir l\’asile
quelle que soit l\’identité de leur persécuteur?

Mise en place de \ »centres de rétention\ ».

Les étrangers en instance d\’expulsion ou de
reconduite à la frontière sont détenus dans ces
zones d\’attente. e e On a assisté l\’an dernier au scandale du
\ »dépôt des étrangers\ » de l\’île de la Cité à Paris,
où les étrangers se retrouvaient parqués dans
des conditions d\’hygiène Innommables.

Affolante série \ »d\’incidents de police\ ».

C\’est comme ça qu\’on dit, et non pas \ »bavures\ »,
c\’est plus joli. Pour \ »saluer\ » le retour de
Charles Pasqua à !\’Intérieur, le 19 mars 1993,
un quadragénaire malgache meurt • des suites
de son interpellation • dans son appartement
de Juvisy; le 4 avril, Eric Simonlé, âgé de dixhuit
ans, est mortellement blessé par un
gardien de la paix lors de l\’interpellation de
trois jeunes. Au moment où on allait lui passer
les menottes, un coup de feu serait 11 parti
accidentellement .. – toute la question étant de
savoir comment un coup de feu peut \ »partir\ »
tout seul.
Le 6 avril enfin, Makomé, un Zaïrois âgé de
dix-sept ans, meurt d\’une balle dans la tête dans
un commissariat. Le ministre de !\’Intérieur, face
à cette terrifiante accumulation, rappelle
fermement à l\’ordre ses troupes, présente ses
condoléances à la famille du jeune Zaïrois, et
reçoit des louanges de toute la presse pour son
attitude apaisante.Le 6 avril enfin, Makomé, un Zaïrois âgé de
dix-sept ans, meurt d\’une balle dans la tête dans
un commissariat. Le ministre de !\’Intérieur, face
à cette terrifiante accumulation, rappelle
fermement à l\’ordre ses troupes, présente ses
condoléances à la famille du jeune Zaïrois, et
reçoit des louanges de toute la presse pour son
attitude apaisante.

Octroi d\’un pouvoir discrétionnaire au maire.

Par exemple pour juger de la sincérité d\’un
mariage mixte, pour délivrer des certificats
d\’hébergement pour la délivrance d\’un visa
d\’entrée sur le territoire français, ou en matière
de regroupement familial. La loi est on ne peut
plus floue: •Le maire refUse le visa s\’il ressort
manifestement, soit de la teneur du certificat
[d\’hébergement, NDLR], soit de la vérification
effectuée au domicile de son signataire, que
/\’étranger ne peut être hébergé dans des
situations normales ou que les mentions portées
sur le certificat sont Inexactes. • Que signifie
\ »manifestement\ »? Quel est le contenu de la
notion de \ »normalité\ » ? La loi ne le précise pas.
C\’est le maire qui en juge, au cas par cas,
comme il l\’entend. D\’où, à nouveau, des
inégalités de traitement d\’une commune
à l\’autre, et des possibilités d  recours
évidemment limitées, voire nulles. e e Pouvoirs considérables donnés au juge
·administratif, au détriment de l\’autorité civile. Là
encore, les recours sont difficiles, longs et non
suspensifs. Moins la justice a à se prononcer,
plus la précarité et l\’insécurité du citoyen sont
grandes. Mais les étrangers ne sont pas des
citoyens…

Problème des maîtres auxiliaires étrangers.

Employés à durée déterminée par !\’Education
nationale, donc par l\’Etat français, ceux-cl sont
néanmoins expulsables à la fin de leur contrat.
La préférence nationale pour l\’emploi, vous
comprenez ?

Création d\’un délit d\’aide aux immigrés clandestins.

ce nouveau délit intervient au nom, une fois de
plus, de la Convention de Schengen qui, dans
son article 27 .1, stipule ceci : • Les parties
contractantes s\’engagent à Instaurer des
sanctions appropriées à /\’encontre de quiconque
aide ou tente d\’aider, à des fins lucratives, un
étranger à pénétrer ou à séjourner sur le
territoire d\’une partie contractante en violation à
la législation de cette partie contractante relative
à l\’entrée et au séjour des étrangers • .. e e L\’Assemblée nationale française supprime la
référence au caractère lucratif de cette aide aux
étrangers clandestins, ce qui donne un article
ainsi rédigé : • Toute personne qui, alors qu\’elle
se trouvait en France, aura, par aide directe ou
Indirecte, facilité ou tenté de faciliter l\’entrée, la
circulation ou le séjour irréguliers d\’un étranger
en France sera punie d\’un emprisonnement de
cinq ans et d\’une amende de deux cent mille
francs. » Vous avez bien lu • toute personne • et
non \ »tout Individu\ » – ce qui inclut les personnes
morales (entreprises, associations, fussent-elles
subventionnées) et laisse augurer d\’inquiétantes
dérives. e e L\’aide, elle, est • directe ou indirecte …
Là encore, le concept est suffisamment flou
pour permettre les Interprétations les plus
fantaisistes. La RATP tombe-t-elle sous le coup
de la loi pour • aide à la circulation .. d\’un
Immigré clandestin ? Après tout, les étudiants
en première année de droit savent que lorsqu\’on
achète un ticket de métro, on signe peu ou prou
un contrat avec la RATP … ee Plus sérieusement, qu\’en est-il de toutes
les associations dont la vocation est de venir
en aide aux immigrés ? – on pense par
exemple au Comité national contre la double
peine, qui risque tout simplement la
dissolution si la loi est appllquée 151• Le cas
s\’est même présenté – qui, loin d\’être
anecdotique, risque de faire jurisprudence –
d\’une épouse entendue par la quatorzième
chambre du tribunal correctionnel de Paris le
20 Janvier au nom de cette disposition, poilr
avoir hébergé ••• son mari 1a.n 1
On est tenté d\’en lire, mais l\’affaire est
grave. Le juge a en effet à résoudre la
contradiction entre le droit de vivre en famille
– et même le devoir d\’assistance mutuelle entre
conjoints – et le délit d\’aide au séjour à un
immigré clandestin. Qu\’est-ce qui l\’emporte,
l\’alinéa 3 de la Déclaration universelle des droits
de l\’homme qui prévoit que• /a famille est
l\’élément naturel et fondamental de la société et
a droit à la protection de la société et de l\’Etat •,
ou les mesures de lutte contre l\’immigration
clandestine ?

Introduction de conditions de régularité du séjour pour certains droits sociaux

11 s\’agit notamment de l\’affiliation à la
Sécurité sociale (ceci en contradiction· totale
avec les principes fondamentaux du droit de la
Sécurité sociale) et de l\’attribution de la plupart
des aides sociales (maladie, invalidité, vieillesse,
logement). e e En ce qui concerne l\’école, si la loi prévoit
toujours le droit à la scolarisation pour tout
enfant présent sur le territoire, il n\’en reste
pas moins que dans certaines communes
(Montfermeil .•. ), des abus sont observables
et depuis longtemps. On assiste même, en
région parisienne, à une pratique nouvelle
consistant à exiger des parents qu\’ils aient
une carte de séjour valable durant toute
l\’année scolaire pour inscrire les enfants.
Ceux dont la carte de séjour arrive à expiration
durant l\’année – et même si cette carte est
renouvelable sans dlfficultés particulières –
subissent des mesures discriminatoires. Un
phénomène analogue de non-application pure
et simple du droit, en général impunie, se
produit dans le domaine des prestations
sociales 1a1 et dans les hôpitaux.

Impossibilité de fait de changer de statut.

Il est désormais exclu d\’obtenir une carte de
résident au terme d\’un long séjour en France,
soit en situation régulière mais avec des cartes
de séjour temporaires (cas, notamment, des
étudiants), soit a fortiori en situation irrégulière.
On a beau être en France depuis dix ou quinze
ans, cela ne donne plus droit à la résidence.
Précalisation, là encore.

Pratiques de l\’administration.

On recense de plus en plus de pratiques
révoltantes de la part de toutes les
administrations qui sont chargées d\’appliquer
au quotidien la politique du gouvernement :
consulats de France à l\’étranger, préfectures,
directions départementales du travail et de
l\’emploi, mairies, services de police ••. On pense
ainsi à dés cas de détérioration volontaire de
pièces d\’identité et de passeports ou de
destructions de preuves, des convocations
à la préfecture à fin de \ »régularisation\ » qui
se traduisent par l\’arrestation immédiate de
l\’étranger et S0!1 transport manu militari vers
l\’aéroport, des pertes de dossiers (il semblerait
que les dossiers des Comoriens se perdent plus
facilement que les autres ; il y a certainement
une très bonne raison à cela) ••• e e Sans parler de l\’attitude des fonctionnaires
derrière leur guichet, qui tutoient, rudoient,
insultent parfois, en toute impunité. Et qui, en
général, n\’ont pas à motiver leurs décisions- on
pense par exemple aux visas, dont le refus n\’a
pas être justifié. On peut s\’interroger sur la
conduite odieuse de certains de ces
fonctionnaires; serviteurs de l\’Etat. Plusieurs
hypothèses, plus ou moins naïves, peuvent être
avancées : soit l\’homme est naturellement
mauvais, et le fait de se retrouver derrière un
guichet avec une position de pouvoir sur des gens en situation de détresse lui permet de se
défouler. Cette hypothèse est certes, pessimiste,
mals semble difficile à écarter. Ou bien tous les
hommes ne sont pas si mauvais, mals
l\’Admlnlstratlon place délibérément au guichet
les plus mauvais de ses membres. Soit l\’homme
a des instructions, venues \ »d\’en-haut\ » – et dans
ce cas, le problème est politique, et c\’est sur
ordre que les fonctionnaires-derrière-leur-guichet
adoptent des attitudes fréquemment Insultantes.
Là encore, Il est difficile d\’exclure cette
hypothèse. e e Les protestations répétées de maintes
associations – MRAP, Ligue des droits de
l\’homme, Act Up, SOS Racisme, CIMADE, Terre
des Hommes, GISTI (Groupe d\’information et de
soutien des travailleurs Immigrés)- ne changent
strictement rien pour l\’instant. Les prises de
position de l\’épiscopat français contre cette
· politique n\’ont pas plus d\’effets – le ministre
d\’Etat, ministre de l\’intérieur et de
!\’Aménagement du territoire ayant fait savoir aux
prêtres qu\’ils feraient mieux.de s\’occuper de ce
qui les regarde, et d\’aller« évangéliser les
banlieues•. . e e Quant aux prises de positions de divers
intellectuels contre ces lois, on pense par
exemple à l\’article de Pierre Bourdieu, Jacques
Derrida et Sami Naïr 191, • Non-assistance à
personne en danger •, appelant à la résistance
et demandant • /\’abrogation des mesures
discriminatoires à l\’égard des étrangers, des
immigrés, et le retour à la pratique républicaine
du droit d\’asile •, qui s\’attira une verte réplique
de Jean-Claude Barreau, conseiller du ministre
de l\’intérieur pour les questions d\’immigration,
qui explique benoîtement qu\’il n\’y a aucun
problème et que tout va pour le mieux dans la
plus républicaine des France : « Ces intellectuels
ont le droit de s\’opposer à une politique qui leur
déplait, mais Ils n\’ont pas celui d\’appeler à la
résistance civique•, arguë-t-il, et d\’ajouter que
« la politique du gouvernement sur la maiïrise
des flux migratoires est modérée et
républicaine • – simplement, il faut bien que
l\’Etat prenne des mesures contre les risques
d\’invasion : « dois-je rappeler que nulle part au
monde l\’immigration n\’est un droit?•, conclut le
conseiller 110>. e e Jean-Michel Belorgey, ancien député
socialiste (qui, parce qu\’il n\’a pas approuvé
l\’action de la gauche au pouvoir après 1988, ne
s\’est pas représenté en 1993), et surtout ancien
président de la Commission des affaires
sociales à l\’Assemblée nationale, dit la même
chose que Bourdieu, Derrida et Naïr, lorsqu\’il
écrit que « la citoyenneté implique certes, en
temps ordinaire, le respect de la loi. Face à des
lois qui se présentent peu ou prou comme
d\’exception, ce respect n\’est plus
nécessairement de mise. D\’autres enjeux sont
en cause: [des] enjeux moraux•. e e Quant aux personnes de bonne volonté qui
tentent de prendre en compte la particularité de
chaque individu, elles cèdent de plus en plus
souvent au découragement, face à l\’ampleur
de la tâche à accomplir, face au caractère
formldablèment huilé de cette machinerie
politico-adminlstrative où, systématiquement,
ce qui va à l\’encontre des Intérêts des étrangers
est appliqué avec sévérité, tandis que ce qui les
favorise est interprété dans un sens restrictif … e e En dépit des mesures de censure d\’un
Conseil constitutionnel qui n\’y peut pas grand
chose, en dépit des admonestations répétées et
vaines de la Commission européenne des droits
de l\’homme, et tandis que la Cour européenne
de justice fait preuve d\’une lenteur qui serait
risible si elle n\’était pas si inquiétante, c\’est
donc tout simplement un ordre public spécial des
étrangers qui est actuellement mis en place dans
ce pays. . e e A ce stade, on peut peut-être poser cette
question : Pourquoi ? Et comment se fait-il qu\’au
pays du \ »consensus mou\ », de la demi-mesure
technocratique, de la réforme sans fractures ni
ruptures, on puisse assister à la mise en place
de mesures aussi violentes – et il ne s\’agit pas
seulement de violence symbolique: lorsqu\’on
expulse, qu\’on précarise, qu\’on met en prison,
etc., la charge de violence physique qu\’on utilise
est lourde, et pour le moins Inhabituelle.
• • Dans tous les domaines de l\’action politique,
la mode est à la concertation, au dialogue avec
les Intéressés, au désengagement de l\’Etat.
Dans tous sauf dans celui de l\’immigration : voilà
qui laisse perplexe 1
• • Observons d\’abord que la méthode
employée est Insidieuse, sournoise. Il n\’y a pas
eu de •grand soir législatif\ ». Hormis la question
de la nationalité, les mesures prises par le
gouvernement Balladur ne diffèrent pas
fondamentalement, quant à leur logique, de
celles prises par la gauche. On renforce les lois,
on resserre les dispositifs, mals on ne prend pas
de mesures extrêmement spectaculaires. On
parle d\’\ »lmmlgratlon zéro\ » mals on précise que
cela ne veut évidemment pas dire \ »zéro
immigré\ ». Et Jean-Claude Barreau de monter
immédiatement au créneau pour expliquer que ce
n\’est qu\’une Image, qu\’en fait ce sont plusieurs dizaines de milliers d\’immigrés qui seront
accueillis, bref : qu\’il n\’y a pas à s\’inquiéter. e e D\’ailleurs, Charles Pasqua passe
fréquemment pour un \ »républicain\ » – Edwy
Plénel, du Monde, ayant été l\’un des premiers à
expliquer que le Charles Pasqua de 1993 n\’était
pas le même que celui de 1986, et à reconnaître
en lui le «vrai démocrate • 111>.
• • Républicain, Charles Pasqua l\’est en effet
dans sa croyance en la loi. Là où il y a un vide
juridique comblé par des pratiques·
administratives floues mais allant dans un sens
systématiquement restrictif, Charles Pasqua, lui,
fait voter des lois. L\’exemple le plus
spectaculaire est celui des contrôles d\’identité :
combien sommes-nous à avoir réagi, lors du
rétablissement des contrôles d\’identité par la loi
d\’août 1993, en nous disant: « nens 1 c\’était
donc interdit ? • e e En ce sens, Charles Pasqua Inscrit son
action dans une tradition républicaine. En ce
sens … mais en ce sens seulement. Car si être
républicain, c\’est cela, on se demande ce qui se
aurait pu se passer si le ministre avait été
antlrépublicain. e e Loin de se rattacher à l\’idée républicaine,
les mesures Pasqua – mais aussi certaines
mesures prises sous les gouvernements
précédents – participent d\’une philosophie
politique délétère, de la tradition millénaire
d\’oppression des plus faibles et, pour tout dire,
du phénomène du \ »bouc émissaire\ » dont Girard
pensait, lorsqu\’il l\’a théorisé, que le simple fait
de le mettre en évidence occasionnerait sa
disparition, mais qui semble en fait avoir de
beaux jours devant lui.
• • En outre, ce n\’est pas tenir des propos
scandaleux que de constater que les principales
victimes de cet arsenal législatif sont des
populations plutôt \ »non blanches\ », et plutôt
pauvres. De là à ressortir les grilles
d\’interprétation les plus connues, li n\’y a qu\’un
pas, facile à franchir. Le discours antiraciste, le
discours de dénonciation des inégalités sociales
ne sont pas exactement des nouveautés, ni des
modèles de subtilité. Mais ils peuvent encore
servir et, face à une réalité qui n\’est guère plus
subtile, semblent finalement tout à fait
adéquats. e e On peut aussi poser une question naïve
(mais les questions naïves ne sont-elles pas
les plus pertinentes ?) : à qui profite le crime ?
Qui a intérêt à cette précarisation du sort des
étrangers ? Ici, on peut diriger son regard du côté
des employeurs. Car les Immigrés clandestins,
par définition, travaillent au noir. Ils n\’ont pas
droit au SMIC, ni à la protection du droit du
travail. e e Or, même si la législation prévoit la
répression des employeurs d\’immigrés
clandestins, même si on annonce de temps en
temps le démantèlement d\’une \ »filière\ »
d\’importation de main-d\’oeuvre étrangère à bon
marché, chacun sait qu\’un secteur comme celui
du bâtiment et des travaux publics (par exemple)
emploie une part très Importante d\’étrangers en
général clandestins sur les chantiers
(Maghrébins, Polonais, etc.), et ce, y compris sur
les grands chantiers commandés par l\’Etat
(grands travaux, tunnel sous la Manche, demain
le grand stade … ). C\’est une vérité triviale, mais
qui mérite d\’être rappelée: la maln-d\’oeuvre
clandestine est moins chère ; et plus elle est
précaire, plus elle est fragile, et moins elle est
coûteuse et portée vers la revendication …
• • Pour partie, les mesures Pasqua comme les
mesures Marchand s\’expliquent donc peut-être
par l\’intérêt qu\’ont certains patrons à contourner
le droit du travail, voire à y Introduire une brèche.
En poussant le raisonnement plus loin, on se
demandera s\’il n\’y a pas une volonté politique de
fabriquer des clandestins, une préférence pour la
clandestinité des étrangers, pour de bas motifs
de coOt du travail. Toutes choses égales par
ailleurs, dans cette hypothèse, il vaut mieux que
les immigrés soient en situation Illégale …
• • Il convient d\’ailleurs de préciser qu\’on
observe la même tendance à l\’oppression
et à l\’exclusion des étrangers chez la plupart
des nations européennes, notamment une
modification de la législation et des pratiques
vers plus de sévérité au Danemark ou au
Royaume-Uni, et tout indique que cette politique
est décidée à un niveau européen – même s\’il
convient de ne pas oublier, en matière de
construction européenne, le rôle d\’impulsion que
joue la France. L\’harmonisation est de toute
façon la règle ; les accords de Schengen sont là
pour çâ, qui libèrent la circulation mals
renforcent le contrôle en renforçant la
collaboration entre services de police. e e Enfin, bien sûr, tout cela n\’est possible que
parce que l\’opinion publique le veut bien, et
pousse dans ce sens. SI Charles Pasqua est l\’un
des hommes politiques les plus populaires de
France, ce n\’est_pas parce que les Français
ignorent tout des mesures qu\’il a prises, mals
parce que la majorité de la population les
approuve, a voté pour et va sans doute continuer
à apporter ses suffrages aux promoteurs de
cette politique. On a, en France, une Importante propension à s\’inquiéter de la montée des
droites en Italie ou des velléités de résurgence
de l\’extrême droite en Allemagne, mals on oublie
trop facilement que lAllemagne a, en matière de
libertés, en matière d\’accueil des réfugiés
d\’Europe de l\’Est (bosnlaques notammént), bien
moins de reproches à se faire que la France, qui .
se paye le luxe d\’avoir avec Phlllppe de VIiiiers et
Jean-Marie Le Pen l\’extrême droite la plus
puissante d\’Europe, ex oequo avec l\’Autriche. e e Le ministre de l\’intérieur chasse sur les
terres de Le Pen pour s\’attirer les faveurs de ses
électeurs. Mals on n\’a pas vu que le vote Front
national se soit effondré. Et depuis une dizaine
d\’années, en matière d\’immigration et de droits
des étrangers, les \ »valeurs\ » du Front national
(que le républicain Pasqua • partageait• en
1988) ont gagné du terrain. Beaucoup de terrain. ee Mais il n\’y a pas que les papiers, dans la vie.
En dépit de toutes ces mesures liberticides,
\ »la vie continue\ ». Encore heureux, dlra-t-on.
En France – le regrette-t-on au ministère de
l\’intérieur? – •tout ce qui n\’est pas interdit est
autorisé •, c\’est inscrit dans la Déclaration de
1789. On assiste donc à une sorte de course
entre l\’Etat et la société, entre la loi et les
pratiques. e e Les individus se faufilent dans les int erstices
d\’une législation imparfaite, imparfaite par
définition, Imparfaite et pourvu que cela dure,
puisque le contraire serait le totalitarisme.
Charles Pasqua, lui, a cette attitude – assez
unique dans le personnel politique français – qui
consiste à faire voter un grand nombre de lois, à
colmater au coup par coup les brèches de la
législation. Mais on ne peut pas tout prévoir. e Prenons le cas de ce candidat à l\’asile entré
sur le territoire par voie maritime. Il est emmené
par les autorités et assigné à résidence en
attendant son expulsion. Une association
humanitaire lui vient en aide, et organise son
évasion. Elle était dans son droit : la détention
du réfugié était illégale, puisqu\’il avait quitté la
zone de transit. Etant entré sur le territoire
français, il devenait libre d\’aller et de venir aussi
longtemps que sa demande n\’avait pas été
examinée. Qu\’à cela ne tienne, répllque-t-on alors
place Beauvau : Charles Pasqua fait adopter une
loi qui élargit le concept de transit de telle sorte
qu\’il devient possible d\’être déplacé dans le
territoire tout en restant, par une étrange
manipulation juridique, en zone de transit. C\’est
un véritable jeu du chat et de la souris. Le
ministre est entouré d\’une redoutable équipe de
juristes, qui sait rédiger des lois qui prennent
d\’importantes libertés avec l\’esprit républicain,
tout en restant en conformité avec la lettre des
principes du droit, ce qui permet dans la plupart
des cas d\’échapper à la censure du Conseil
constitutionnel. ee Autre exemple : celui des expulsions. Il
reste aujourd\’hui difficile d\’expulser un immigré
en situation irrégulière : en effet, s\’il refuse
d\’embarquer dans un avion, on ne peut l\’y
forcer – le commandant de bord, qui a la
responsabilité du bon déroulement du vol, est
en effet fondé à refuser de le prendre à bord.
Toutefois, l\’étranger ne l\’emporte pas au
paradis : Il est immédiatement Incarcéré, et à
nouveau expulsé à la fin de sa peine. Et ainsi
de suite. e e Observons au passage que la détresse de
celui qui préfère aller en prison plutôt que de
\ »rentrer dans son pays\ » mérite d\’être prise en
considération, tant il semble difficile d\’imaginer
les prisons comme des lieux où l\’on souhaite
instinctivement séjourner. La situation n\’est,
d\’évidence, pas très satisfaisante pour les
services du ministère de l\’intérieur. On tente
donc de mettre en place un système
\ »d\’.expulslons TGV\ » : l\’immigré voyage en train
jusqu\’au port, et de là, Il est renvoyé en bateau.
Mals la mesure est symboliquement très
désagréable – on pense à d\’autres
trains – et difficilement applicable pour plusieurs
destinations (Afrique non maghrébine, Asie,
Europe centrale et orientale … ). e e Alors, avec certaines compagnies charter,
les services du ministère mettent en place un
système de réservations bloquées. Là encore,
l\’opération est compliquée. Mals tout cela révèle
la détermination et l\’imagination dont on arrive
à faire preuve en la matière.
• • Peut-on, pour autant, se satisfaire de ces
maigres consolations, où l\’on voit le dispositif
d\’oppression ponctuellement tenu en échec ?
Non. Pas plus qu\’une pratique administrative
plus respectueuse de la dignité des lndiVldus
ne saurait être à elle seule satisfaisante. Savoir
pourquoi on est convoqué à la préfecture,
pouvoir envoyer ses enfants à l\’école, bénéficier
de la Sécurité sociale et se faire vouvoyer par les
fonctionnaires de police, ce n\’est pas utopique,
ce n\’est même pas satisfaisant, c\’est la moindre
des choses. e e Les pratiques qui ont cours actuellement
sont Inacceptables dans un Etat de droit. Y
mettre fin ne pose pas de difficultés d\’ordre
technique, seulement un tout petit peu de
volonté politique, et ce n\’est pas la volonté
politique qui fait défaut au ministre en charge du dossier. Mals le dêbat ne s\’arrête pas là. e e On aimerait Ici dêfendre l\’ldêe selon laquelle
Il faut faire exactement le contraire de ce qui se
fait. Non pas précariser, mals régulariser.
Donner des papiers à eaux qui travaillent au noir
et dans des conditions Infamantes. Non pas
expulser, mals accueillir. On a l\’impression que
la France, de dêrlve en dêrlve, est en train d\’en
arriver à une situation où l\’expulsion devient la
règle, et l\’accueil l\’exception. Or, l\’expulsion est
une mesure extrêmement grave, violente et
tragique, dont la banalisation n\’augure rien de
bon. Inversement, l\’accueil est une dêmarche
gênêreuse et qui ne gênère aucune tension dans
la soclétê. La chose n\’a pas être traitée au
niveau du ministre. Cela devrait être normal. e e Le discours du Front national sur la société
métissêe, multlculturelle et cosmopolite a gagné
du terrain, il est peut-être majoritaire dans
l\’opinion aujourd\’hui. Mals le métissage, la
soclêté multlculturelle et cosmopolite, c\’est un
objectif rêjoulssant, plus joyeux en tous cas que
celui d\’une France repllêe sur elle-même qui jette
un regard mêfiant et vaguement Inquiet sur tout
ce qui ne la renvoie pas à une image d\’ellemême
faite de clochers, de bêrets et d\’une
êpoque où tous les gens étalent blancs. Or, ce
discours d\’ouverture, on ne l\’entend plus guère.
On nous explique que c\’est utopique, ou
irresponsable. Pourtant, c\’est plutôt l\’êvolutlon
spontanêe de la sociêté. Cela s\’appelle la
globalisation … Dêfendons l\’idêe d\’une France
ouverte, où nul visa serait nêcessaire pour
rendre une brève visite. Est-ce un rêve
irresponsable ? e e Sans doute faut-li rappeler que le visa pour
les visiteurs est une mesure rêcente, adoptêe
en septembre 1986 par Jacques Chirac, Premier
ministre, pour faire face non pas à \ »l\’invasion\ »
des immigrês, mals au terrorisme qui mettait
Paris à feu et à sang. La mesure a êtê prise
dans la prêcipitatlon, sans dêbat ni
contestation. Par la suite, elle n\’a jamais êtê
discutêe au Parlement, et aucun gouvernement
quelle que soit sa couleur politique n\’a osê la
remettre en cause. e e Plaidons, en ces temps de campagne
êlectorale, en faveur du droit de vote des
étrangers, qui ne figure au programme d\’aucun
candidat alors qu\’il faisait partie du programme
de la gauche lorsque celle-cl est arrivée au
pouvoir. Rappelons que ce droit a été accordé
pour les êlections europêennes et locales,
dans le cadre du traltê de Maastricht, aux
êtrangers ressortissants de la communautê
européenne. Ils en ont d\’ailleurs fort peu usé
– la campagne d\’information ayant commencé
avec la clôture des listes électorales. Pourquoi
les êlectlons europêennes et pas les
lêglslatlves ? Mystère … Pourquoi les Portugais
et pas les Algériens ? Pourquoi les Belges et
pas les Suisses ? Parce que les uns font partie
de la construction europêenne et pas les
autres. Et alors? Et alors, c\’est tout. D\’autre
part, à chaque campagne, on explique que la
meilleure mesure de lutte contre l\’immigration
serait l\’aide au dêveloppement. Et les
responsables polltlques de plaider en choeur
pour une politique \ »ambitieuse\ » de la
coopêration. • e Tout cela est très joli, même si on a envie de
faire observer que cette politique est de longue
haleine ..• Comment être contre ?
Malheureusement, on ne voit rien venir. Les
lêgislatures se succèdent, mais le ministère de
la Coopération reste le ministère de la gestion
des rêseaux africains du pouvoir (de droite
comme de gauche) et du soutien aux dictateurs
en place au nom de la sacro-sainte •stabllltê\ ».
En dêplt des bonnes Intentions proclamêes,
l\’aide au dêveloppement n\’avance pas d\’un
pouce. Plaidons donc pour un changement de la
politique de coopêratlon – et notamment pour un
changement radical de politique africaine.
Constatons qu\’on n\’en prend pas le chemin .••
Plaidons pour une France où on aurait le droit
de se promener sans papiers, rappelons aux
donneurs de leçons de sécurité qu\’aux EtatsUnis
et au Royaum&llnl, Il n\’y a pas de carte
d\’identité; qu\’en Grande-Bretagne, les pollclenl
ne sont pas armés.
1 e Plaidons, par la même occasion, en faveur
du droit de perdre son passeport sans se
retrouver dans une situation extrêmement grave
(bien des cartes de sêjour sont en effet
apposêes directement sur le passeport).
1 e Plaidons, surtout, pour un monde où chacun
aurait le droit de choisir l\’endroit où H veut
vivre, où la liberté de circulation serait la règle,
un mende métissé, favorisant le rapprochement
entre les cultures. Est e utopique ? Mals le
contrôle total de la circulation est aÏISsl une
utopie. On peut choisir de se diriger vers l\’une
ou l\’autre ile ces deux conceptions. Préférons
la Hberté ..•
Mehdl Guellaty


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